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Titre :La brouette – poésie (1ère partie)
Compositeur(s) et-ou auteur(s) :Rostand, Edmond
Interprète(s) :Dumény, Camille [Camille Georges Richomme]
Fichier audio :
Photo(s) :Photo
Support d'enregistrement :Disque
Format :27 cm aiguille (enregistrement acoustique)
Lieu d'enregistrement :Paris, France
Marque de fabrique, label :APGA
Numéro de catalogue :1248
Date de l'enregistrement :1906
Instruments :diction
État :Exc++
Vitesse (tours/minute) :78,2
Matériel employé au transfert :Garrard 401, SME 3012, pointe 2,8ET sur Stanton, Elberg MD12 : courbe flat, passe-bas 5kHz, Cedar X declick, decrackle, dehiss
Date du transfert :27-11-2014
Commentaires :Texte du contenu ci-joint.
Texte du contenu :La brouette

Edmond Rostand (1892)


Tel un prince héritier qui se déguise et rôde
Afin de découvrir l'injustice et la fraude
À travers les états du Roi, son père,
Tel, Jésus, reprend parfois son jeune front mortel,
Quitte en secret le firmament du Dieu, Son Père
Et blond, s'en vient un peu voyager sur la Terre
Télémaque divin, que comme un vieux Mentor,
Le Bon saint Pierre, ôtant son auréole d'or
Pour n'être pas trahi par ses feux, accompagne.
Un jour, ayant battu longuement la campagne,
Le Seigneur et le Saint (on était en hiver)
Firent halte en un bois, dont le feuillage vert
N'était plus sur le sol que de l'humus rougeâtre.
Saint Pierre eût bien voulu s'asseoir au coin d'un âtre
Et chauffer ses vieux doigts, mais la seule maison
Qui leva son chapeau de chaume à l'horizon
Ne penchait pas au vent la plume de fumée
Qui fait rêver bon gîte et soupe parfumée.
Donc, ce bois valait mieux. D'autant que le Soleil
y donnait.Un soleil, timidement vermeil,
Un soleil pas bien chaud, c'est vrai, mais tout de même,
Point trop à dédaigner en ce matin si blême,
Et Pierre, tout fourbu d'aller par les chemins,
S'étant assis, tendait vers ce soleil ses mains
Et les dégourdissait dans sa lumière rose,
Cependant que Jésus rêvait à quelque chose,
Debout, et ne sentant ni fatigue, ni froid.
Pierre cria soudain :" Maître, fils de mon Roi,
Regardez ! Regardez par ici cette femme !
N'est-elle pas stupide ou folle ? Sur mon âme,
Elle veut ramasser du soleil. Voyez-la"
Jésus leva les yeux. Une vieille était là
De ces vieilles des champs au dur profil de chouette,
Et cette vieille, avec une énorme brouette,
Se tenait au milieu des sentiers à l'endroit
Qu'éclairait un rayon du soleil, tombant droit,
Et sitôt qu'il venait dorer son véhicule
Cette femme tentait la chose, ridicule,
D'emporter le rayon et poussait au brancard,
Bien vite ! Mais toujours, au moindre des écarts
Qu'elle faisait du point frappé par la lumière
Le soleil s'échappait de la brouette. Et Pierre
Se divertissait fort à regarder ce jeu :
La capture, d'abord, du beau rayon du feu
Entre les ais boueux et gris qu'il illumine,
Puis sa fuite rapide... et la piteuse mine
De la vieille pauvresse, interdite un moment,
Mais qui recommençait, bientôt, patiemment,
Sans comprendre pourquoi, dès qu'elle rentrait dans l'ombre
Elle ne poussait plus qu'une brouette sombre.
"Est-elle simple, Dieu ? Voyez ce qu'elle fait !
Bon... elle recommence !" Et Pierre s'esclaffait.
Mais voici que Jésus dont l'intérêt s'éveille
S'approche, et doucement interroge la vieille
"Femme, que fais-tu là ? N'as-tu plus ta raison ?
Il règne un froid terrible en cette âpre saison
Et je ne comprends pas, ô femme, que tu veuilles
Au lieu de ramasser du bois sec et des feuilles
Ramasser ce rayon à peine réchauffant"
"C'est pour le rapporter à mon petit enfant"
Dit la femme, en levant le front. "Je suis l'aïeule
D 'un pauvre enfant malade à qui je reste seule
Car cet hiver, le père et la mère sont morts.
Pour travailler, mes bras ne sont plus assez forts,
Je ne peux que glaner, et ce travail-là chôme,
Et notre enfant va mourir dans notre triste chaume
Sans même avoir connu cette douceur, ces bonbons,
Qui font sourire encore les petits moribonds.
Ne pas pouvoir gâter, alors qu'on est grand-mère,
C'est dur... que lui donner ? Je ne savais que faire.
Mais voici qu'il me dit, ce matin au réveil,
Je serais bien content si j'avais du soleil.
Car le soleil, jamais n'entre dans ma chaumière
Et mon petit garçon est privé de lumière !
Alors, voyant qu'ici le soleil a relui,
Je viens en ramasser un bon morceau pour lui."
Et la vieille reprit avec foi sa besogne
Quand il se sent ému, Saint Pierre se renfrogne.
Il dit "Elle est stupide ! elle ne voit donc pas
Que son soleil s'en va dès qu'elle fait un pas !
Cette vieille cervelle est dure comme pierre
Et ne comprend plus rien !" Mais Jésus dit à Pierre,
Pensif, ayant rêvé sur cette femme un peu,
"On ne sait pas ce que l'amour des simples peut"
Et n'ayant pas compris toute cette parole
Saint Pierre répétait : Mais cette femme est folle
Elle est folle, Seigneur !" Soudain, il s'arrêta
Presque aussi confondu que quand le coq chanta
Car la vieille marchait maintenant sous les branches
Et les rayons restaient entre les quatre planches
Et les rayons, dans l'ombre étincelaient encore
Et, paraissant pousser devant elle un tas d'or
Sans s'étonner, la vieille, impassible et muette
Emportait le soleil dans son humble brouette



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