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Titre : | Le martyre de la cathédrale de Reims, 6ème partie |
Compositeur(s) et-ou auteur(s) : | Cardinal Luçon |
Interprète(s) : | Son éminence le cardinal Luçon |
Genre : | Discours de circonstance |
Fichier audio : | |
Photo(s) : | ![]() |
Support d'enregistrement : | Disque |
Format : | 25 cm aiguille (enregistrement acoustique) |
Lieu d'enregistrement : | Reims, France |
Marque de fabrique, label : | Pathé |
Numéro de double-face : | X9053 |
Numéro de catalogue : | NAP724 |
Numéro de matrice : | N724 |
Date de l'enregistrement : | 13-9-28 |
État : | Exc++ |
Vitesse (tours/minute) : | 78 |
Matériel employé au transfert : | Numark TT500USB, SME-Clément, pointe 2,8E sur Stanton, Elberg MD12 : courbe flat |
Date du transfert : | 10-04-2015 |
Commentaires : | Texte du contenu ci-joint. Coll. José Sourillan. Première Guerre mondiale, Grande Guerre, 1914-1918. La date visible n'est pas celle de l'enregistrement, mais celle d'une étape de fabrication du disque avant sa diffusion |
Texte du contenu : | Le martyre de la cathédrale de Reims
1. Il est des monuments dans lesquels semble être incarnée l'âme d'une cité, l'âme d'un peuple. Ils sont les témoins du passé. Ils ont été le théâtre des événements tour à tour tristes ou joyeux dont la trame constitue l'histoire de la nation. Tous les siècles y ont laissé leur marque et les ont imprégnés de leur esprit. Ils représentent les idées, les passions, les hauts faits, les gloires, le génie de la race. La cathédrale de Reims est un de ces monuments. Entre toutes nos basiliques dont les hautes nefs, les majestueuses façades, les clochers aériens dominent nos cités, elle est la plus parfaite peut-être par l'unité de son plan, par l'harmonie de ses proportions, par la majesté de son frontispice, par l'élégance de ses tours, par la magnificence de sa décoration. C'est un poème de pierre qui raconte toute l'histoire religieuse de l'humanité. Elle est la fleur de notre architecture médiévale, un des plus merveilleux chefs-d’œuvre du génie chrétien. Elle a vu passer à ses pieds, vivre et mourir à l'ombre de ses murs, prier dans ses enceintes successives toutes les générations de notre ville depuis quinze cents ans. Ses pierres sont imprégnées de leurs souffles et de l'encens de leurs prières. Elles gardent comme un écho de leurs voix, de leurs soupirs et de leurs chants. Toutefois, ce qui la distingue entre toutes les autres, ce qui en fait le sanctuaire national par excellence, ce sont les grands événements patriotiques et religieux dont elle est le monument : le baptême de Clovis, le sacre des rois de France, le triomphe de Jeanne d'Arc. Mais ce qui fait pour nous la gloire de notre cathédrale est ce qui la désignait aux représailles de l'ennemi et voilà sans doute pourquoi cette maison de beauté, ce temple illustre de Dieu et de Notre Dame n'a point trouvé grâce devant eux dans la récente guerre. 2. Les Allemands occupèrent Reims du 3 au 12 septembre 1914. La victoire de la Marne les obligea à l'évacuer. Ils installèrent alors leurs batteries à Nogent-l'Abbesse, à Berru, à Witry, à Fresne, à Brimont, de l'est au nord de la ville à une distance moyenne de huit à dix kilomètres. Alors commença le long et douloureux martyre de notre cité et de sa cathédrale. Le samedi 19 septembre vers midi, un premier obus incendiaire lancé, dit-on, par la batterie de Nogent-l'Abbesse met le feu à l'échafaudage dont était enveloppée la tour nord alors en réparation. À 3 heures, heure des vêpres, c'était les vêpres de Notre-Dame des sept douleurs, trois autres s'abattent sur les combles. Bientôt toute le charpente est en feu. Les hautes lames de plomb de la toiture disparaissent, fondues dans les flammes. Sur les voûtes flamboie un immense incendie au-dessus duquel s'amoncellent comme des montagnes d'épais nuages de fumée. À la façade, sous l'action du feu, les pierres se calcinent, les sculptures s'effritent. La statue de Notre-Dame, adossée au trumeau de la porte principale, le couronnement de la Vierge qui en décore le gâble, le combat de David et de Goliath sont pitoyablement dégradés. La moitié de la balustrade du Gloria Laus est précipitée sur le parvis. Plusieurs des statues si admirées du portail gauche sont mutilées ou décapitées. Parmi elles l'Ange au Sourire et la Reine de Saba. À l'extrémité de la ligne de faîtage s'élevait l'élégant clocher à l'angle, il s'embrase et flamboie comme une torche, s'incline, s'affaisse et s'abîme dans le brasier des voûtes. 3. À l'intérieur, le feu gagne les portes latérales, il consume dans le tambour où il était roulé le magnifique tapis du sacre de Charles X, il dévore les portes massives et dégrade les célèbres galeries de statues en mi-relief qui les encadrent. Les splendides verrières des XIIIème et XIVème siècles sont criblées par les éclats de la mitraille et, arrachées de leurs fenêtres, pendent lamentablement en lambeaux à leurs armatures. À côté de la cathédrale, inséparables du sanctuaire national, s'élevaient deux antiques monuments, témoins vénérables du glorieux passé de notre ville : Le palais des rois où nos souverains prenaient l'hospitalité quand ils venaient à Reims recevoir leur couronne et l’archevêché, demeure traditionnelle depuis quinze cents ans des successeurs de saint Remi. Les flammes qui les dévorent se confondent avec l'incendie qui consume la cathédrale. Toute la ville est sur pied. Sur la place du parvis, dans les rues, aux fenêtres des maisons, tous les regards sont fixés sur ce spectacle terrifiant. Riches et pauvres, civils et militaires, croyants et non-croyants, tous sont là, debout, les yeux pleins de larmes, frémissants de douleur et d'indignation mais impuissants. Et depuis ce jour-là notre chère cathédrale est restée sous nos yeux attristés comme une ruine au milieu des ruines, mutilée, meurtrie, démantelée, sans toiture, sans portes, sans fenêtres, ouverte à tous les vents comme une demeure abandonnée. Les orgues sont muettes et les voûtes ne retentissent plus que du fracas des projectiles. Les cloches, après avoir exhalé dans les airs un dernier et douloureux gémissement, sont tombées fondues parmi les débris de leur beffroi carbonisé. 4. L'hôte divin du tabernacle ne réside plus dans sa demeure. On n'y offre plus le saint sacrifice. Le culte divin n'y est plus célébré. La Toussaint, Noël, Pâques, la Pentecôte, par deux fois, trois fois, quatre fois mais nous ne revoyons plus ces belles solennités qui apportaient à nos âmes des émotions si douces et laissaient dans nos cœurs des souvenirs si bienfaisants. Le printemps de 1917 vint encore aggraver le désastre. C'est alors en effet que l'ennemi en cinq séances de cinq quarts d'heures chacune les 16, 19, 21, 22 et 24 avril lança sur la cathédrale environ soixante-dix obus de gros calibre, de la hauteur d'un mètre, du poids de quatre cent cinquante kilos. Tombant d'une hauteur de quatre ou cinq kilomètres, ils se précipitent avec toute la puissance de leur poids et de la vitesse acquise sur les voûtes du sanctuaire qui s'écroulent, écrasant le maître-autel et les fonts baptismaux sous des montagnes de décombres. Jamais je n'oublierai ces nuits d'enfer où en même temps que durant des heures et des heures il semait dans nos rues le fer, le feu, la mort, l'ennemi lançait au mépris des traités qui portaient pourtant sas signature ses projectiles sacrilèges sur le vénérable monument, perçant les voûtes, écorchant les murailles, criblant les merveilleuses verrières, ébréchant les contreforts, tronquant les arcs-boutants, renversant les hautes galeries, décapitant les pilastres, brisant les élégantes colonnettes, mutilant les statues, ravageant les sculptures. Que de fois, la nuit, par les soupiraux des caves où nous étions réfugiés nous avons entendu les douloureux gémissements des voûtes sous les coups des engins qui les battaient et les rebattaient sans pitié. 5. Et quand, le soir au retour de mes visites aux blessés ou aux sinistrés, je passais à la tombée de la nuit sur la place du parvis autour de laquelle les pans de murs des maisons incendiées se dressaient dans l'ombre comme des fantômes devant la cathédrale à la face meurtrie élevant ses deux tours vers le ciel comme deux mains suppliantes, il me semblait entendre la sainte église de Reims me jeter du fond de son sanctuaire dévasté la plainte douloureuse de la reine des martyrs sur le sommet du Golgotha au soir de la passion : "Ô vous qui passez par le chemin regardez et voyez s'il est une douleur égale à ma douleur". Vingt fois j'ai protesté par l'intermédiaire du Vatican affirmant sur mon honneur de cardinal et d'archevêque qu'il n'y avait sur la cathédrale aucune installation à usage de guerre, ce qui était vrai ! Le gouvernement de Berlin répondait invariablement au pape que ses artilleurs ne bombardaient la cathédrale qu'à leur plus grand regret et parce que les Français se servaient des tours pour des observations ou signaux militaires, ce qui était faux ! Dans ces jours d'incessantes angoisses, une de mes plus douces consolations était d'aller chaque vendredi, tout seul, à la cathédrale faire mon chemin de la croix pour la foi. C'était le plus souvent à la chute du jour, dans la demi-obscurité de la nuit tombante. Entré dans la cathédrale vide, déserte, silencieuse, je m'agenouillais d'abord sur les degrés du sanctuaire. Là, j'invitais avec Notre Dame, patronne de la basilique, tous les saints de France, saint Denis et saint Martin, saint Sixte et saint Sinice, saint Nicaise et saint Remi, sainte Clotilde et sainte Geneviève, saint Louis et sainte Jeanne d'Arc à prier avec moi pour leur patrie de la terre en détresse. Je chantais à mi-voix, ô de quel cœur et avec quelle ferveur ! le miserere de la France, le parce domine du peuple français. Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple et ne demeurez pas éternellement irrité contre lui, parce domine, parce populo tuo. 6. Les quatorze stations du chemin de la croix. À chacune d'elle je lisais à genoux une méditation appropriée aux malheurs de la patrie et que j'avais composée tout exprès. Je reconnaissais humblement les torts de mon pays envers Dieu et j'en demandais pardon pour lui. Je passais ensuite à l'autel de la Sainte Vierge. À genoux sur le marchepied ou, quand il y avait trop de danger, blotti contre le pilier, je chantais toujours à mi-vois l'antienne Sancta Maria, succurre miseris, sainte Marie, montrez-vous secourable à ceux qui sont dans le malheur. Et je priais pour mes frères mobilisés, dispersés, en captivité, je priais pour mes diocésains qui là-bas gémissaient sous le joug de l'occupation dans les Ardennes. Je priais pour ceux qui, n'ayant plus de foyer à Reims, erraient dispersés à travers la France, exilés loin de la petite patrie dans la grande. Sancta Maria, succurre miseris, iuva pusillanimes, refove flebiles, ora pro populo, interveni pro clero. Enfin je terminais ma visite aux fonts baptismaux, là où la France est devenue chrétienne. J'invitais les anges gardiens de mes frères dans l'épiscopat à se joindre à moi et, en présence du baptistère écrasé, des voûtes du sanctuaire écroulées, je chantais à mi-voix toujours le credo de notre foi catholique pour attester au Christ en ma qualité de successeur de saint Remi et de gardien du baptistère national que les Francs du XXème siècle professent bien toujours la même foi que leurs pères du Vème. 7. Un moment - c'était après la reprise du Chemin des Dames - nous avons pu craindre que la ville et sa cathédrale ne tombassent aux mains de l'ennemi. Les lignes allemandes se déroulaient alors des abords de la Ponpelle en passant par les forts de Nogent-l'Abesse, de Berru, de Witry, de Fresne, de Brimont et de Saint-Thierry jusqu'au petit village de Vrigny. Pour achever l'encerclement, l'ennemi n'avait plus à conquérir que l'espace relativement faible qui s'étend de Vrigny à la Pompelle. S'il y réussissait, Reims était en son pouvoir. Quelle n'eût pas été l'ivresse de l'envahisseur s'il lui eût été donné d'entrer dans notre ville, de repaître ses yeux de la vue des ruines amoncelées chez nous par ses canons et de faire retentir les échos de notre cathédrale dévastée de son orgueilleux refrain : L'Allemagne au-dessus de tout, l'Allemagne au-dessus de tout et quelle humiliation pour la France ! Cette joie, l'ennemi ne l'a pas eue. Cette humiliation, nous ne l'avons pas subie grâce au génie de nos chefs, grâce à l’héroïsme de nos soldats, grâce aussi à la miséricorde du Christ qui aime toujours les Francs. Quand tout semblait perdu, tout fut sauvé. La France avait prié, les prêtres avaient prié dans les temples, les mères, les époux, les enfants avaient prié dans les foyers, les soldats et leurs chefs avaient prié dans les tranchées. 8. Quand la mesure de nos prières, de nos larmes, de nos expiations fut remplie, Dieu nous rendit son souffle. Il fit un signe et la victoire vint se placer en tête de nos régiments. Elle y déploya ses ailes toutes grandes pour ne plus les replier que quand l'envahisseur eut été réduit à merci. Après une lutte gigantesque qui tint fixés sur elle pendant quatre ans les regards du monde entier palpitant tout à la fois d'anxiété, d'horreur et d'admiration, l'envahisseur est refoulé sans répit de la Marne à la Vesle, de la Vesle à l'Aisne, de l'Aisne à la Meuse, de la Meuse à la frontière. Le 5 octobre, il abandonne les forts avancés de Reims et le 11 novembre, l'armistice est signé. Et le 26 mai 1927 nous reprenions possession des nefs restaurées de Notre-Dame, l'hôte divin de nos tabernacles rentrait dans sa demeure, chaque jour de sacrifice eucharistique est célébré sur ses autels. Nous avons repris le cours de ces belles fêtes chrétiennes que nous aimons comme les aimaient nos pères. La chaire sacrée retentit de nouveau de la parole sainte qui élève, qui console, qui sanctifie et la grande voix de l'orgue accompagne nos voix pour faire monter vers Dieu, avec les adorations et les prières, les actions de grâce de son peuple. |
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