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Titre : | Souvenirs du 11 novembre 1918 |
Interprète(s) : | Anonyme(s) ou interprète(s) non identifié(s) |
Genre : | Scène descriptive |
Fichier audio : | |
Photo(s) : | ![]() |
Support d'enregistrement : | Cassette audio d |
Format : | Cassette audio d'après Pyral |
Marque de fabrique, label : | Radio Luxembourg |
Date de l'enregistrement : | 1967-11-10 |
État : | Exc++ |
Vitesse (tours/minute) : | 78 |
Matériel employé au transfert : | Sony TC-D5M, Tascam HD-P2 |
Date du transfert : | 29-05-2015 |
Commentaires : | Texte du contenu ci-joint. Coll. José Sourillan. Première Guerre mondiale, Grande Guerre, 1914-1918 |
Texte du contenu : | Souvenirs du 11 novembre 1918
10h45, le 11 novembre 1918 : une salve de 150 s'abat sur le village de Dom-le-Mesnil. 10h57: les mitrailleuses tirent des deux côtés, Français et Allemands se battent toujours. 11h : un clairon sonne le cessez-le-feu, Pierre Sellier annonce l'armistice. C'est le lieutenant Pierre Augy qui lui en transmet l'ordre. - Le capitaine Lhuillier, fier, me dit : "Faites sonner le clairon". Le clairon, il était à trente mètres au-dessus, c'est ce brave Pierre Sellier, caporal-clairon du 1er bataillon du 171 auquel j'ai dit : "Clairon, sonnez le refrain du régiment. Cessez-le-feu". Le clairon a sonné. L'ordre, sur toute la ligne, a été exécuté par tous les clairons, par toutes les musiques qui existaient. 11 novembre 1918, l'armistice met fin à quatre ans de guerre, une guerre cruelle et impitoyable que certains nommeront même "la dernière vraie guerre". Avant de mourir, le général Weygand avait porté un jugement implacable sur cette guerre qu'il avait fait en soldat, académicien, homme politique, écrivain. - Je la définis par, je dirais, une profonde sottise des Allemands. Ils n'auraient pas déclaré la guerre que la domination qu'ils cherchaient, ils l'auraient obtenue, je crois, économiquement et alors par une puissance militaire qu'aurait soutenue cette puissance économique mais qu'ils, je crois, n'auraient pas été obligés de déclarer la guerre pour gagner ce qu'ils ont voulu, eux, en gagner. Demain, à Paris comme dans tous les petits villages, des milliers d'hommes et de femmes vont se souvenir, se recueillir même, en pensant à ces millions de morts qui reposent sous la terre de France. Ce soir, nous avons voulu essayer de mettre en contact, en présence, d'une part ceux qui connaissent bien cette guerre tant du côté allemand que français et ceux qui se posent encore presque cinquante ans après des questions, c'est-à-dire les jeunes, presque des enfants. Donc nous avons mis en présence André Luguet qu'il n'est pas question de présenter, je crois, comme comédien car tout le monde le connaît, mais comme militaire, ancien combattant qui a fait la guerre de 14-18 dans l'aviation, je crois. C'est exact ? - Oui, je l'ai d'abord faite dans l'infanterie et c'est après avoir été blessé dans l'aviation que je suis passé... dans l'infanterie ! que je suis passé dans l'aviation mais seulement en 1915. - En 1915. Il y a également avec nous Jacques Meyer qui a écrit plusieurs livres : La Biffe, La guerre, mon vieux... et, avec Ducasse et Perreux, Vie et mort des Français. Je crois que vous aussi, je crois que vous étiez longtemps là-bas, pendant la guerre de 14-18. - J'y ai été longtemps parce que notre promotion de l’École Normale à l'A.P. à laquelle appartenaient pas mal de camarades que vous avez cités, et mon camarade Arnaud qui est ici présent s'était engagé dès le début de la guerre, a été nommé sous-lieutenant avant de savoir presque quoi que ce soit, en deux mois, et est parti au début de 15 comme sous-lieutenant d'infanterie, c'est-à-dire dans les conditions les plus mauvaises au point de vue de la mortalité. Alors, hélas ! il en est mort beaucoup, beaucoup ont été blessés et quelques-uns sont revenus dont je suis. - Et la troisième personnalité, René Arnaud, auteur de La Guerre 14-18, Tragédie-Bouffe qui a terminé la guerre comme capitaine dans l'infanterie. C'est exact ? - Bien sûr. Vous savez, dans l'infanterie à ce moment-là, quand on était officier, y avait deux possibilités : ou être tué ou être promu. Alors comme je n'ai pas été tué, j'ai été promu. - Et vous avez fait presque tous les fronts. C'est peut-être cela qui vous a permis d'y cerner tout ce qu'il y avait de tragique et parfois aussi de comique dans cette guerre de 14-18. - Oui, je dois dire que justement j'ai, c'est peut-être aussi peut-être un penchant naturel, j'ai trouvé que dans cette guerre il y avait forcément quantité de scènes horribles, de scènes tragiques, de deuils et de morts, mais en même temps le destin m'a mis en présence de personnages d'abord auprès desquels Courteline lui-même n’existe pas. - Et puis aussi Maurice Genevoix que je cite en dernier car il n'est pas parmi nous, empêché à la dernière minute, mais, nous le verrons tout à l'heure, nous sommes allés il y a quelques instants chez lui pour lui poser quelques questions. Ce sera presque comme s'il était avec nous. Maurice Genevoix, vous le savez, secrétaire perpétuel de l'Académie, c'est Sous Verdun écrit en 1916, c'est aussi Ceux de 14 mais pour ce qui nous intéresse ce soir, je crois que c'est le sous-lieutenant et lieutenant du 106e R.I., Régiment d'Infanterie, blessé à la Tranchée de Calonne le 25 avril 1915. Pour parler avec ces hommes, ces anciens, il y a dans notre studio ici à Paris trois jeunes : Vincent, quel âge ? - 12 ans - 12 ans, faut parler un peu plus fort, hein. 12 ans. En quelle classe ? - Quatrième - Benoît - 14 ans - Quelle classe ? - Seconde - En seconde. Et Jean-Pierre qui là est plus âgé - 21 ans - 21 ans. Voilà donc pour le studio de Paris. Et à Bonn, en Allemagne, en direct avec nous d'autres jeunes, d'autres personnalités autour d'André Ancion. - Eh bien, à Bonn, dans le petit studio de Radio Luxembourg, j'ai réuni d'abord un ancien combattant de Verdun qui est un écrivain et un historien, c'est monsieur Paul Ettighoffer qui est l'auteur notamment d'un livre sur Verdun, "Verdun : Opération Jugement" qui est paru en traduction française aux éditions France Empire et puis trois jeunes gens qui sont un petit peu plus âgés que leurs interlocuteurs parisiens : Peter, 25 ans, qui est ingénieur, Marcel, 21 ans, qui est étudiant et Norbert, 25 ans, qui est licencié en droit. Ici l'atmosphère est très décontractée, je dois le dire, à Bonn bien que le 11 novembre soit l'anniversaire d'une défaite allemande. Nous célébrons cet événement devant une bouteille de ..?.. (Dom Pérignon ?) - Eh bien, écoutez, de toute façon l'atmosphère est très décontractée ici à Paris et c'est Jean-Pierre qui pose la première question. - Oui, vous nous avez souvent dit et écrit que l'on ne vous avait pas assez écouté et pas assez entendu au sujet de la guerre de 14-18. De quoi vous plaignez-vous ? - Alors, ça c'est une question qui a été posée tout à l'heure d'ailleurs à Maurice Genevoix et elle est posée à tout le monde, je pense. - Oui, oui, absolument - Nous l'avons posée tout à l'heure ensemble à Maurice Genevoix. - Je ne me plains pas du tout, je le constate, c'est tout, n'est-ce pas. J'ai l'impression que c'est une question à la fois pertinente, intelligente et méditée. Il faudrait répondre à ça un peu à froid et à loisir. Mais en toute spontanéité d'abord je proteste contre le mot "Pourquoi vous plaignez-vous ?", je ne me suis jamais plaint, j'ai déploré, c'est pas la même chose, qu'on ne nous ait pas non pas écouté mais pas assez entendu et, malheureusement c'était une sorte de fatalité parce que il s'agissait d'une expérience charnelle, mais vraiment au premier titre, et au fond de l'être et qui était malheureusement intransmissible parce que la souffrance physique, on n'en a la notion que quand on l'éprouve soi-même. Et alors, si notre expérience avait été transmissible, si par exemple par une vue de l'esprit tous les Européens de 1939-1940 étaient passés par où les combattants de 14-18 sont passés, eh bien, là je vous garantis que il n'y aurait pas eu de nouvelle guerre, ça c'est pour moi une certitude absolue. Et c'est dans ce sens-là non pas que je me sois plaint mais que je me suis... enfin que j'ai déploré, que j'ai regretté profondément qu'on ait remis ça après vingt ans. - Vous avez donc l'impression que, au moment où vous faisiez cette guerre, pour vous ça devait être la dernière. - Ah ! sûrement. Nous le croyions tous. On l'a pas cru longtemps, bien entendu, parce qu'on s'est aperçu que toutes les bêtises, enfin tous les, tous les malentendus recommençaient presque aussitôt mais justement faute de pouvoir s'appuyer sur une expérience. Et alors, quand bien même, ce qui n'a pas eu lieu, quand bien même on se serait appuyé sur les anciens combattants, mais ce n'est pas eux qui avaient le pouvoir de décision, et... ça aurait été la même chose. - Jacques Meyer, c'est ce que vous pensez ? - Oui, moi je le pense dans une grande mesure et, je pense, surtout sur un plan plus personnel et plus particulièrement psychologique, que l'expérience de 14-18 était incommunicable mais pas seulement la souffrance parce que on parle de la souffrance, on parle des morts et des blessés, c'est ce qui apparaît le plus évident, eh bien, à mon avis, la misère matérielle, physiologique, morale, intellectuelle a été une chose aussi dure dans l'ensemble à supporter parce que les vivants l'ont supportée presque indéfiniment. Enfin, indéfiniment... quatre ans, c'est une durée qui n'en finit plus. Et la misère, la boue, la pluie, les parasites, les poux, les totos, faut les appeler par leur nom, les rats, l'inconfort, le manque de sommeil, la mauvaise nourriture, l'absence d'eau, tout cela réuni, accumulé, est une expérience incommunicable. Je le dis mais personne n'a revécu cela pendant trois ou quatre ans dans les mêmes conditions et par conséquent ça ne se communique pas. - André Luguet, vous avez l'impression que on vous a reproché de ne pas vous avoir écouté, que votre guerre n'a servi à rien ? - Non, moi je vous avoue que je n'ai pas tout à fait cette impression-là parce que je suis d'une nature assez philosophe et je me suis toujours fait une petite philosophie personnelle et il est devenu un lieu commun de dire que l'expérience des anciens n'a jamais servi aux jeunes. Par conséquent, puisqu'il en est ainsi dans les choses courantes de la vie, je ne vois pas pourquoi il en serait autrement dans les chose courantes... dans les choses de la guerre, comprenez-vous. Et, bien entendu, à l'époque où je faisais la guerre, comme tout le monde je pensais moi aussi que ça serait la dernière parce que nous avons assisté à des choses tellement épouvantables, tellement atroces que l'on pensait que on ne reverrait jamais ça. Mais, comme monsieur Meyer, j'ai été très vite détrompé et je me suis rendu compte que, si nous avions bien fait la guerre, puisque on nous a reconnu, n'est-ce pas, cette qualité, d'avoir en somme assez bien fait la guerre puisque en définitive ça s'est soldé par une victoire, ceux qui étaient chargés de préparer la paix ont moins bien travaillé que nous. - Michel Leblanc - Oui ? - Je crois que notre ancien de Verdun, monsieur Ettighoffer, voudrait dire quelque chose à ce sujet. - Bien sûr - Eh bien, messieurs, ce que vous venez de dire, eh bien, je l'approuve profondément. J'étais en 1936 un des quatre, cinq cents anciens combattants allemands de Verdun (serment de Verdun)invités par les soldats français à la cérémonie au Douaumont. Eh bien, là nous avons juré de vouloir tenir la paix à demain, de faire tous nos efforts pour qu'il n'y ait plus jamais une guerre entre la France et l'Allemagne et vous pouvez me croire que nous qui avons fait la campagne de 14 jusqu'en 18, que nous, 500, et avec nous des milliers d'autres camarades, nous étions profondément et vraiment profondément convaincus qu'il n'y aura plus jamais une guerre et nous étions profondément tristes que cette guerre et nous étions honteux que cette nouvelle guerre était arrivée. Je suis un ancien de Verdun, j'ai été blessé à la ..?..., j'étais volontaire en 1914, enfin comme tous les jeunes étudiants, jeunes soldats, et à l'école, en 1ère, n'est-ce pas, on nous a appris, ..?.. c'est des cours ..?.., bon, eh bien, nous sommes allés avec élan dans la bataille comme dans une fête, nous avons cru que c'était la vérité mais je crois que Horace s'est trompé parce qu'il n'a pas fait la guerre entre 14 et 18 - Je crois que c'est une autre question d'ailleurs - Oui ! oh oui ! - Eh bien, nous avons trouvé qu'il est vraiment honorable de mourir pour son pays mais la mort sur le champ de bataille est vraiment pas douce. C'est ça que je veux dire. Et pour nous qui avons fait la guerre de 14, vous pouvez croire que tous les gens qui ont fait la guerre de 14, c'était pour nous et c'est aujourd'hui pour nous encore des frères de souffrance. - Eh bien, nous allons demander aux jeunes Allemands qui sont autour de vous, anciens, de poser une question mais avant je vais laisser la parole à Nicole. - On parle souvent du cigare de l'amitié et c'est vrai. Lorsque deux amis se rencontrent, qu'ils allument un cigare, ils choisissent un Cyrano. Cyrano, c'est le nouveau petit cigare de la Régie Française des Tabacs. Cyrano, un cigare franc, loyal, courtois. Cyrano, c'est le petit cigare des grands amis. Lorsque deux hommes se rencontrent, ils s'offrent un Cyrano. Et puis je voudrais vous signaler également qu'il y a encore de nombreux prix à gagner au grand jeu Total et toutes les cartes sont bonnes. Alors conservez-les précieusement pour les échanger par paquets de 32 ou de 52 pour de véritables jeux de cartes à jouer. Total est vraiment plus près de vous. - Bonn, c'est à vous pour poser une question. - Alors, Peter, une question... - Ben, je voudrais bien poser une question à ces messieurs qui ont participé à cette guerre, ce combat parmi lequel ils ont quand même prouvé un courage immense. Est-ce que vous avez eu l'impression de vous battre pour quelque chose ou est-ce que vous avez exécuté des ordres ? - Bien posé - René Arnaud, répondez à Peter - C'est un peu difficile de répondre à pareille question. IL est très certain, et j'en appelle au témoignage de mes camarades, que quand nous sommes partis en 1914 nous avions très exactement le sentiment qu'a exprimé Péguy, nous partions pour la dernière des guerres et nous pensions précisément qu'en vidant cet abcès, cet abcès qu'avait laissé, il faut bien le dire, derrière elle la guerre de 70, nous pensions que désormais l'Europe serait vouée à la paix. Qu'en 1916 nous ayons eu toujours ces mêmes sentiments, là, je n'en suis moins, je n'en suis pas très sûr parce que là au fond, eh bien, nous étions dans l'engrenage et nous restions dans l'engrenage, peut-être sans trop philosopher sur les raisons mêmes de nous battre. - Je crois que Vincent voudrait poser une question à Jacques Meyer. - Oui. Pourquoi est-ce qu'on a appelé la guerre de 14 la Grande Guerre ? - Jacques Meyer... - Pourquoi l'a-t-on appelée la Grande Guerre ? Ce n'est pas parce qu'elle a duré plus longtemps que toutes parce qu'il y a tout de même eu la Guerre de Cent Ans et la Guerre de Trente Ans, mais je crois qu'en intensité, pour quatre ans qui sont déjà une bonne petite période, en proportion de morts, en proportion de souffrances, en mélange de populations, en brassage de peuples et de millions d'hommes de tous les pays ou de presque tous les pays européens et jusqu'à des pays asiatiques et américains, ce brassage dans une guerre n'a jamais, et c'est bien naturel étant donné l'évolution du monde, été aussi profond. On dit la Grande Guerre, on peut aussi dire la guerre mondiale. On a dit depuis "La deuxième guerre mondiale" parce qu'en effet il y en a eu une d'un calibre à peu près analogue au point de vue brassage mais c'était la première d'où, par rapport aux anciennes, la Grande Guerre et je me permets de dire, ayant participé aussi à la seconde par conséquent je peux faire quelques comparaisons, que si la seconde a laissé des ruines et des pertes considérables dans le monde entier et surtout en Europe, ça n'est pas du même ordre et que pour la souffrance des hommes dans ce qui était une guerre que j'oserais appeler encore régulière tant soit peu, c'était vraiment la première et la dernière fois que ça s'est passé à cette échelle car le nombre immense des victimes de l'autre guerre, ce sont en grande partie des massacrés dans les camps, des tués dans des bombardements et les victimes de batailles rangées sont importants, peu dans la drôle de guerre évidemment, il y en a eu beaucoup plus après mais ce combat face à face entre des lignes, devant des lignes qu'il fallait conquérir ou garder ne s'est jamais produit. Et je voudrais dire encore pour revenir sur ce qui a été dit par mes camarades et pour la question qui a été posée : il est rare aussi, pour les Français, je ne parle pas pour tous les autres en ce moment, que ils aient eu autant, tout au moins au début, et c'est pourquoi l'Union Sacrée a pu se faire, au début, et pourquoi les hommes ont tenu après, même quand l'Union Sacrée ne s'est pas maintenue, c'est qu'elle se passait sur le sol même du pays et qu'il est resté au moins l'impression sinon la conviction qu'on défendait son propre sol. Et ça, c'est un caractère du guerre mondial, c'est vrai, mais national pour la France qui ne s'est pas retrouvé et qui, je l'espère bien, ne se retrouvera jamais. - Je voudrais bien savoir ce que pense à Bonn Ettighoffer lorsqu'un jeune à Paris pose cette question en disant qu'on l'a appelée la Grande Guerre, est-ce que lui, Ettighoffer, à Bonn, pense que c'était la Grande Guerre ? - Oui. Pour nous c'était d'abord aussi la guerre nationale, enfin la guerre patriotique. Nous sommes partis aussi avec l'élan des jeunes, n'est-ce pas, et puis volontaires et nous avons cru de bien servir notre pays mais, au fond, nous avons vu que les forces étaient trop grandes, les forces contre nous, et puis qu'il n'y avait pas moyen de résister au fond. Dès que l'Amérique arrivait en 1917, l'armée des Américains arrivait, ben, y avait plus rien à faire pour nous, la guerre était déjà perdue au moment que l'Amérique commençait la guerre. Et dans le vocabulaire allemand on ne dit jamais la Grande Guerre, on dit la guerre mondiale. - Ainsi donc, excusez que je vous interrompe, ce qui m'intéresse... - C'est Norbert - Oui ? - Ce qui m'intéresse, est-ce que c'est une question des guerres nationales ou est-ce que c'est pas la plus grande faute de tous nationalités qui ont fait cette guerre qui n'ont pas prévu que l'armement qui était trop vraiment technisé plus que d'abord dans tous les autres guerres qu'on avait, qu'on n'avait pas prévu que ce sera une... qu'est-ce qu'on dit ? ... un grand tué ? - Une grande tuerie, oui - Il fallait jamais demander, à mon opinion maintenant, il fallait pas demander c'est quelle faute qui a commencé, c'est quelle nationalité qui a fait(é) pour son intérêt. Ce qu'il faut voir, à mon opinion, c'était la première guerre dans tout le monde qui était dans des intérêts économiques et pas plus. Et la faute était qu'on n'a pas prévu que ce serait si grande, si tuant. - C'est ça - C'est un peu ce que disait justement le général Weygand. - Absolument, vous avez raison - André Luguet, vous voulez dire quelque chose ? - Non, non, pas du tout, non - Jean-Pierre a une question à poser - Moi, j'écoute, je m'instruis beaucoup en ce moment et puis ça me réveille des tas de choses auxquelles j'avais pas pensé - Alors vous ne croyez plus que demain les peuples puissent de nouveau se rencontrer, rester face à face comme vous l'avez fait vous-même pour vivre, souffrir. J'insiste sur la souffrance, sur le moral, sur la ferveur patriotique en fonction des hommes qui vivent actuellement en 67. - C'est à dire comme vous dites... - Vous posez la question. On l'a posée d'ailleurs tout à l'heure à Maurice Genevoix. On va lui demander sa réponse puisqu'elle est enregistrée. Vous demandez si à l'heure actuelle, si des hommes, des peuples peuvent refaire ce qui a été fait. Maurice Genevoix a répondu tout à l'heure. - C'est très difficile de répondre, je ne voudrais pas enlever enfin à des jeunes la moindre illusion, enfin de ces illusions qui aident à vivre mais il est, à mon avis, à mon sentiment si vous voulez, il est certain que si l'on compare, si vous voulez, des réflexes des peuples à certains réflexes d'individus, il est certain qu'après une saignée épouvantable comme celle de 14-18, quinze cent mille jeunes vies, n'est-ce pas, en pleine floraison, en pleine puissance de travail, créatrice, eh bien, quinze cent mille jeunes vies brusquement supprimées dans un pays comme le nôtre, c'est une hémorragie effroyable. Et alors je crois que la défaite de 1940 s'explique en partie par cela parce que une nouvelle saignée de la même importance tragique aurait été presque fatale. Par conséquent, on peut comparer ça, mon Dieu, à l'instinct vital, à un réflexe de conservation pur et simple. Mais enfin ça nous entraînerait trop loin. Mais alors quant à la capacité de résistance, à la force morale, et il en fallait certainement beaucoup, ça, je n'en sais rien mais je crois surtout que l'homme est à peu près constamment le même et que devant certaines épreuves, eh bien, on retrouverait les mêmes individus, c'est-à-dire les uns capables de la résistance morale la plus admirable, la plus sublime même dans une certaine mesure et puis d'autres qui ne seraient pas capables de cela. Mais comparer les peuples, enfin les générations successives pour au besoin les opposer l'une à l'autre ou les préférer l'une à l'autre, alors , non, c'est inutile. - André Luguet... - Ah ! moi, je voulais dire simplement que ce ne sont jamais les peuples qui ont envie de faire la guerre et qui décident de la faire. On prend toujours cette décision sans demander au peuple son avis, quoi. Moi, personnellement, ça ne m'a pas tellement amusé de faire la guerre de 14. Pour en parler ce soir parce que nous sommes réunis, n'est-ce pas, je l'ai faite parce qu'on m'y a obligé mais je dois dire que je ne suis pas parti avec tellement d'enthousiasme, même ayant un bouquet au bout de ma baïonnette. - Vous voulez dire quelque chose, René Arnaud ? - Oui, alors là je dois dire que je ne suis tout à fait d'accord avec monsieur Luguet parce que j'ai été mobilisé en septembre 14 et j'ai le souvenir très net qu'à ce moment-là mes camarades et moi, voyez, je ne suis pas une exception, nous n’avions qu'une peur, c'était que la guerre finisse trop vite - Exact - Et que nous ne puissions pas y prendre part - Pour ceux de vingt ans, c'était comme ça - Bien entendu, bien entendu, au bout de quelques mois, nous savons que, nous avions compris mais au début, très certainement, nous avons eu ce sentiment profond qu'il y avait là quelque chose à quoi nous devions participer. - L'aventure de Stendhal. - Oui, j'entends bien, moi aussi mais vous dites que vous avez été mobilisé en septembre. Moi, j'étais au régiment, je faisais mon service militaire depuis déjà une dizaine de mois - Ah oui, manque de pot ! - C'est pas pareil - Alors le régiment était déjà une chose qui ne m'amusait pas tellement. J'avais beau de temps en temps me rappeler les histoires de Courteline et essayer de prendre ça du bon côté, j'essayais de retrouver dans les personnages réels l'adjudant Flick ou le capitaine Hurluret mais je dois dire que lorque la guerre a été éclatée... a éclaté, ça a été pour moi une espèce de stupéfaction. Je l'ai faite et j'ai essayé de la faire de mon mieux et dignement, moi aussi j'ai été entraîné par tout le monde, n'est-ce pas, et on criait en allant à la gare "À Berlin ! À Berlin !" mais je me suis aperçu très vite, et j'en étais d'ailleurs intimement convaincu, qu'on y arriverait pas si vite que ça. On avait eu beau nous raconter que les obus de 77 n'éclataient pas, ben, il ne nous a pas fallu longtemps pour s'apercevoir que quand on les recevait sur le coin de la figure, ça éclatait parfaitement bien. - Ce qui n'empêchait pas les journaux de continuer à le dire - Oui. -Non mais, ce que je voulais dire, c'est que, en effet, je ne crois pas que il y ait un peuple qui ait vraiment désiré faire la guerre. Qu'on soit partis à la guerre, mon Dieu, avec des slogans comme il y en avait un en Allemagne qui appelait ça la guerre fraîche et joyeuse, n'est-ce pas, ben, moi, j'ai toujours été convaincu même lorsque je l'ai faite soit dans les tranchées soit dans le ciel de France qu'une guerre quelle qu'elle soit n'est jamais rien de frais ni jamais rien de joyeux. - Nous allons redonner très vite la parole aux jeunes Allemands mais, Nicole, vous revenez une nouvelle fois. - Oui, pour vous dire encore une fois parce qu'il est bon de le savoir que chaque carte du grand jeu Total est forcément bonne. Elle vous fait gagner l'un de nombreux prix ou bien elle s'ajoute aux autres et vous pourrez toutes les échanger jusqu'au 30 novembre par paquets de 32 ou 52 contre de véritables jeux de cartes. - Ancion, c'est à vous. - Oui, alors je pense que Marcel voudrait poser une question maintenant - Oui., messieurs, je voudrais bien poser la question suivante : Ne croyez-vous pas que la constellation politique à la veille de cette guerre a causé cette guerre et que les gouvernements différents ont décidé de faire cette guerre et pour cela ne croyez-vous pas que ce n'était pas une guerre patriotique ? Avez-vous fait cette guerre pour une idée nationale ou... - Il s'adresse à Ettighoffer, Allemand, ou aux personnalités françaises qui sont ici ?... Ancion ? - Oui ? pardon.. - Il s'adresse à Ettighoffer en ce moment ? - J'ai l'impression qu'il s'adresse à tout le monde - Exactement - Alors laissons d'abord la parole à Ettighoffer qui vous parle - Oui. Ce que les gouvernements ont fait, ça, nous ne le savions pas. Nous ne savions qu'une chose : La patrie est en danger, il faut s'engager et il faut marcher. Tout ce que faisaient les gouvernement, ça, nous ne savions pas. - Ah ! bon, ça... - Eh ben, écoutez... - Ah ! pardon... - Laissez-moi intervenir pour un moment. - Ça c'est du côté allemand, ça mais... - Vous avez parlé tout à l'heure de la signification de la première guerre mondiale. Ce que j'avais compris, c'était que vous avez... la seule chose que vous avez regrettée c'était que les Américains sont intervenus c'est-à-dire à la fin que l'Allemagne avait perdu. Est-ce que vous avez pas d'autres choses à regretter là-dedans, vous qui avez quand même subi un sort tout à fait déplorable ? Vous avez quand même consacré une partie de votre jeunesse dans cette guerre. - Naturellement, ça - C'est Ettighoffer qui répond - Naturellement, nous étions dans cette affaire, dans cette guerre, c'était comme.. au bout de deux, trois ans, on ne savait plus ce que c'était la paix. On vivait dans cette guerre comme si on vivait ici dans un... enfin dans un autre onde, n'est-ce pas. C'était... on n'avait plus de conception d'autre chose. - Mais est-ce que vous avez jamais vous posé... est-ce que vous ne vous êtes jamais posé la question pourquoi cette guerre avait éclaté, pourquoi vous vous battez comme ça ? - Mais oui, pourquoi, mais alors c'était trop tard de répondre là-dessus. Nous n'avions qu'à obéir. - Ah mais, non ! - Ah ! mais dites donc... - Ah ! mais, on avait bien l'occasion de finir cette guerre en 16, en 1916. Il y avait... - Ah, bon ? - On avait proposé la paix mais personne ne voulait. - Oui mais, c'est pas nous les soldats au front, hein, qui avions ... nous n'avions rien à dire ! - Vous parlez comme soldat mais bon, alors je parle jamais comme soldat parce que je n'ai pas été, ce qui m'intéressait, ne voyez-vous pas que vous avez été contre tout le monde pour rien ? - Mais oui, mais... - Ça prouve qu'ils ont été victimes d'un côté comme de l'autre - Je crois.. - Comment ? - Oui, je crois alors... - Est-ce que vous étiez la proie de la propagande de guerrier ? Est-ce que vous aviez... est-ce que vous êtes subis de l'ambiance de guerrier ? - Mais non ! - André Ancion, je crois qu'il faut préciser que c'est un... comment s'appelle ce jeune homme ? - Ce jeune homme s'appelle Peter - C'est Peter, Allemand, qui pose une question à Ettighoffer, Allemand. - Mais non ! - Pas exclusivement à l'ancien combattant allemand. - Oui et je réponds. Je dois répéter ce que j'ai dit tout à l'heure, nous étions dans cette ambiance là-dedans, nous ne connaissions plus rien que d'autre, n'est-ce pas, nous ne savions plus ce que c'était que la paix ! J'avais dix-huit ans quand j'ai eu mon baptême de feu, j'avais dix-huit ans. Eh bien ! - Et, voyez-vous, j'ai l'impression, si je puis me permettre cette intervention, que les jeunes Allemands ne reprochent pas à ceux qui ont fait la guerre de 1914 de l'avoir perdue mais d'avoir toléré qu'elle puisse éclater. À ce propos, en venant au studio tout à l'heure, j'ai pu parler avec un autre ancien combattant allemand qui m'a tenu le raisonnement suivant, il m'a dit : Dans le fond, il est bien dommage que l'Allemagne ait perdu la guerre de 1914 parce que s'ils l'avaient gagnée, nous n'aurions connu ni le communisme ni les nazis. - C'est vrai, ça, c'est vrai ! - Alors, je crois que ce genre de déclaration donne un certain nombre de réactions dans notre studio parisien ici et, Jacques Meyer, je vois que... - Moi je crois qu'il faudrait faire un peu une mise au point parce qu'on s'en va dans tous les sens et entre des interlocuteurs qui ne parlent forcément pas la même langue et qui ont l'air de dire surtout aux Allemands mais on pourrait nous le dire en France et les Allemands pourraient nous le dire : En somme, vous n'aviez qu'à vous arrêter de faire la guerre, l'arrêter, ça ne servait à rien, et pourquoi avez-vous continué ? et c'est votre faute finalement. Eh bien, ça, ça me rappelle un petit peu les griefs que l'on fait aux Juifs des camps de concentration qui se sont laissés tuer sans se révolter. C'est une pure plaisanterie, ça. Quand on est dans le coup, on y est vraiment. Et je voudrais revenir aux responsabilités dont on parle. Tout à l'heure on a dit non sans raison, c'est notre ami Luguet qui l'a dit : Ce ne sont pas les soldats qui ont décidé et ils étaient dans le coup et c'était plutôt les gouvernants. Mais moi, je vais plus loin, c'est même pas les gouvernants. Les gouvernants eux-mêmes ont tous des responsabilités, on a discuté, on discutera peut-être pendant encore cent ans les responsabilités respectives et relatives des Français et des Allemands. À mon avis, y en a eu des deux côtés. Je pense tout de même, mais nous ne faisons pas ici de l'Histoire, que la volonté d'expansion de l'Allemagne, la perte de l'Alsace-Lorraine, les débuts de la guerre qui ont été tout de même présentés d'une façon différente des deux côtés car enfin la France avait reculé ses troupes de dix kilomètres et les Allemands sont entrés sur le territoire français mais ce n'est pas suffisant pour donner toute la responsabilité à l'Allemagne ni à la France. Les dirigeants ont été pris eux-mêmes dans un engrenage, ils ne sont pas les maîtres des événements. C'est une erreur de croire que Guillaume II et Poincaré ont été les maîtres de la situation. Ils ont été pris dans un cercle de préparations et d'obsessions nationales et économiques et politiques qui remontaient à beaucoup plus loin et dont ils ont été les jouets eux-mêmes sans s'en rendre compte probablement et en croyant décider. Maintenant la responsabilité des hommes et pourquoi ils se sont battus jusqu'au bout, puisque enfin ça tourne un peu au réquisitoire contre les soldats qui sont restés, qui sont restés au front et ça voudrait en quelque sorte faire l'apologie de la désertion, et je crois pas tout de même qu"on veuille aller jusque-là ni d'un côté ni de l'autre,(Ja, nich vergessen) il est certain que certains ... beaucoup de jeunes sont allés avec enthousiasme et je donne raison à Luguet, surtout ceux qui n'étaient pas encore soldats parce que ils n'en avaient pas tâté et qu'ils ne sont venus qu'un peu après, sous-lieutenants de janvier (?), ils n'ont pas fait les six premiers mois de la guerre qui était une sacrée épreuve et une dure épreuve mais il y a eu cet enthousiasme des jeunes et il y a eu aussi, plus sérieux, plus réfléchi, même chez les paysans pour qui la guerre, le départ de la terre a été très dur en laissant à l'abandon pour leurs femmes tout ce qu'ils avaient et tous leurs biens et tout ce qu'il fallait cultiver, il y a eu tout de même très vite d'abord jusqu'au bout, il faut bien le dire, cet espoir de la Der des der. C'est pourquoi un Barbusse s'est battu, un antimilitariste, il a fait la guerre pour tuer la guerre et il y en a bien d'autres comme ça. Maintenant, tout le monde ne pensait pas et ne réfléchissait pas comme Barbusse mais cette idée que ce serait la dernière des guerres parce que justement son énormité et les succès qu'on espérait remporter d'un côté comme de l'autre détruiraient la puissance des peuples qui la déchaînent a dominé tout le monde. En enfin, je crois que c'est le mot de la fin en ce qui me concerne, pourquoi on a continué à se battre ? Par nécessité parce que du côté français, je ne parle pas du côté allemand, du côté français si on avait lâché, les Allemands seraient entrés non pas dans dix départements mais probablement dans trente, cinquante, soixante, quatre-vingt, on l'a bien vu par la suite comment ça se passait, et que il fallait rester accroché au sol parce que les autres prendraient votre place et que la défaite ça n'est pas non plus pour un peuple un avenir. Finalement, à part quelques-uns, les hommes sont restés à peu près tous par nécessité consentie et acceptée. Et voilà la vérité sur les hommes, à mon avis. - Benoît a une question à poser. - Oui, je voulais savoir comment on commémorait la guerre de 14-18 en Allemagne. - Ah ! c'est une question pour les Allemands. - Comment ? - Comment est-ce que l'on commémorait la guerre de 14-18 en Allemagne ? - Oui. On n'en parle presque plus. La littérature sur la guerre de 1914-18 n'est plus lue. On n'en parle plus. - Ah ! pardonnez... - Y a seulement comme partout enfin dans les villages, dans les villes, y a les monuments, n'est-ce pas, mais tous ces monuments représentent pas des soldats qui attaquent à la baïonnette ou des, enfin des gestes de gloire, c'est seulement des plaques avec des noms, "Tombés pour la patrie en 1914-18" un tel, un tel, un tel. - Est-ce qu'il y a des cérémonies ? - Comment ? - Des dépôts de gerbes devant ces monuments ? - Oui, oui, y a cérémonies, le ...?..., c'est aujourd'hui en huit jours, n'est-ce pas, y a... - C'est pour les deux guerres - Comment ? - C'est pour les deux guerres - Pour les deux guerres. Ils se réunissent, n'est-ce pas, les gens se réunissent, les anciens combattants des deux guerres se réunissent avec.... alors y a les jeunes gens, n'est-ce pas, et puis les étudiants, la jeunesse, les écoles et puis alors on fait un petit speech là-devant, il y a quelqu'un qui dit : Il ne faut jamais oublier ces gens qui sont tombés pour la patrie, ils ont fait leur devoir et caetera et caetera. Quelques paroles et c'est tout. Et alors on chante J'avais un camarade et puis c'est tout. - Bien. André Luguet, vous avez quelque chose à dire. - Non, je voulais simplement poser une question à mon camarade allemand. Il vient de dire que en Allemagne on ne parlait plus de la guerre 14-18 ou pour ainsi dire plus mais est-ce qu'on parle de la guerre 39-45 ? - Presque plus, presque plus - On en a fait assez chez nous en France - Oh la la la la - Écoutez, écoutez, laissez-moi interromper ains.i Mon camarade, je pourrais dire, à ma gauche, avait dit qu'on parle plus de la première guerre, première grande guerre, c'est pas tout à fait vrai parce que c'est seulement deux années que un livre est paru que recommençait de parler des aspects politiques de la première guerre. Si on compare, pour répondre à la deuxième question, si on regarde la deuxième guerre, on parle aussi de la politique mais pas de la guerre. - C'est ça, c'est ça, voilà. C'est ce que je voulais dire, n'est-ce pas, parce que... - Hitler, connais pas - Écoutez, en 1945, on nous a dit : Vous autres, vous n'aurez jamais plus... vous ne pourrez jamais plus porter des uniformes et cætera et cætera. On nous a dit : On ne veut plus jamais d'armée - Y en a marre ? - Puis nos jeunes gens ont dit : "Ah ! ohne mich", c'est-à-dire "sans moi". Y a même des autos, n'est-ce pas, vous pouvez voir dans les rues, y a quelques années y avait au Parlement, n'est-ce pas, le Bundestag a dit que en cas de guerre il y aurait... on devrait réquisitionner les autos et lors vous pouviez voir en Allemagne un nombre formidable d'autos qui avaient une inscription par derrière : "Ohne mich", moi, je ne fais pas la guerre, sans moi. Voilà. - Nous allons passer très rapidement à d'autres questions. Nicole, s'il vous plaît. - Eh bien, on gagne beaucoup et l'on peut encore gagner beaucoup au grand jeu Total. D'ailleurs toutes les cartes sont bonnes puisque vous recevrez autant de véritables jeux de cartes à jouer que vous pouvez constituer de paquets de 32 ou de 52 cartes-bulletins du grand jeu. - Jean-Pierre, vous avez une question à poser ? - Non, j'étais en train de penser. Tout à l'heure, on parlait de... - Parlez fort, hein - On parlait pas de la désertion mais presque. Alors je pense aux événement de 1917 qui, avec un peu plus d'ampleur, auraient pu favoriser ou... - Jacques Meyer ... - Je ne suis pas particulièrement qualifié parce que je n'étais pas en 17 au front, j'étais à l'hôpital. Je crois que mon camarade Arnaud y était et lui il en parlerait mieux mais je ne vais vous dire qu'une seule chose : Ces mutineries étaient dues, à mon avis, principalement à la fatigue des troupes devant ou après une attaque insensée créée dans des conditions impossibles où le Haut commandement avait fait faillite et où vraiment la coupe avait débordé. Et je crois que c'est cela, et c'est peut-être la preuve même du courage des soldats, qui a pu imposer d'autres méthodes au commandement par cet arrêt qu'il a imposé brutalement. - Ancion ... - Oui ? - Paul Ettighoffer... - Eh bien, en 1917, quand y a eu... comme y a eu les malaises là-bas au Chemin des Dames, j'étais la guerre là-bas, enfin au Chemin des Dames, j'étais à La Faux, n'est-ce pas , eh bien, j'étais là lieutenant et, un jour, y a des prisonniers allemands qui sont revenus chez nous, au front, ils nous ont dit : "Eh ben, les Français ne marchent plus, ils ont des drapeaux rouges et ils veulent finir la guerre, ils veulent aller à Paris et cætera et cætera" alors on n'a pas cru, on n'a pas cru, c'était de la bêtise enfin. "Vous êtes idiots ou quoi ? On raconte des bêtises pareilles, ça se fait pas, les soldats ne désobéissent pas, c'est impossible". Et même Ludendorff a dit dans son livre sur la guerre : "C'était la dernière occasion pour l'Allemagne de gagner la guerre" cette mutinerie. Enfin, je ne sais pas. Si nous avions attaqué, je crois que les Français auraient fait front et puis nous auront ... - Bien. Vincent, je crois que Vincent a une question à poser. Il est tard maintenant, je crois qu'il faut serrer un petit peu. Alors, Vincent, la dernière question. - Oui. Parfois que lorsqu'on a affaire à des gens d'un certain âge, ils vous répondent : "Moi, j'ai fait la guerre de 14". Est-ce que vous avez l'impression que parce que vous avez fait la guerre de 14 cela vous donne des droits ? - André Luguet - C'est bien dit - Alors, tout d'abord, André Luguet - Aucun droit. Il n'y a, à mon avis, on n'a aucune raison de se vanter d'avoir fait la guerre - Non, absolument pas - Jacques Meyer - D'ailleurs - Pardon - Je me permettrais d'ajouter que le père de Guynemer que j'ai personnellement assez bien connu, non pas le père mais le fils, j'entends, Georges Guynemer lui-même, disait à son fils que la gloire ne vous donne pas des droits mais qu'elle vous donne surtout des devoirs. - C'est ça - Jacques Meyer - Et en ce qui me concerne, je voudrais ajouter, confirmer ce que dit André Luguet parc que on s'est surtout servi en France du fameux mot de Clémenceau :"Ils ont des droits sur nous" qui a été interprété de travers et probablement volontairement par des profiteurs de 14-18. Il y en a eu dans les anciens combattants, y a pas de doute. Il y a eu des dirigeants qui ont créé des associations pour revendiquer ce qui leur valait à eux des décorations et des situations, ça n'est pas douteux. Ce n'est pas le cas de tous, bien entendu, mais ça a été vrai et dans les anciens combattants, eh bien, il y en a parmi ceux qui n'en avaient peut-être pas fait le plus qui auraient voulu des retraites ou des pensions dès l'origine beaucoup plus élevées que celles qu'on ne leur donnait pas. Mais Clémenceau n'avait pas voulu dire ça, il voulait dire "Ils ont des droits moraux sur nous", des droits à la reconnaissance de la part des autres, reconnaissance non pas qu'ils l'aient fait exprès, comme on l'a dit, ils ne l’avaient pas fait exprès mais enfin ils avaient beaucoup plus souffert que les autres et ça avait servi aux autres. On leur devait une certaine reconnaissance et eux-mêmes auraient dû ne pas faire la faillite qu'ils ont fait après en ne tirant pas eux-mêmes les leçons de la guerre qu'ils avaient faite. - René Arnaud, est-ce que vous avez déjà dit à un jeune comme Vincent "Moi, j'ai fait 14 alors si tu veux bien me laisser la place" ? - Ah ! sûrement pas, car je suis tout à fait de l'avis de mes camarades André Luguet et Jacques Meyer. Je ne trouve pas du tout que le fait que le destin nous ait jeté dans cette fournaise nous ait donné le moindre droit. Ce que je peux dire, c'est que, c'est du moins ma position d'ancien combattant, c'est que, en 19, je n'ai personnellement pensé qu'à une chose, c'est à oublier autant que possible ces années terribles, à telle enseigne que je n'ai même pas pensé à ce moment-là à écrire mes souvenirs de guerre parce que j'en avais le cauchemar et que je préférais de beaucoup oublier tout cela. - Ettighoffer... - Eh bien, moi aussi j'ai écrit mon livre sur Verdun parce que je rêvais chaque nuit, parce que j'avais le cauchemar, je me voyais dans cette fournaise terrible et j'ai écrit ce livre pour me délivrer de ce cauchemar. Et mon premier livre c'était Le revenant du mort homme ( = Gespenster am Toten Mann), eh bien, je me suis... c'est aussi un livre sur Verdun, n'est-ce pas, et puis ça m'a délivre. - Est-ce que vous pensez que le fait d'avoir participé à cette Grande Guerre vous donne des droits spéciaux ? - Non, pas du tout, pas du tout, pas du tout., absolument pas. - Moi, maintenant, je voudrais poser une question à André Luguet, à Jacques Meyer, à René Arnaud et à Ettighoffer, je voudrais savoir ce que cela leur a fait ce soir de parler entre eux, d'un pays à l'autre, comme ça, sur cette affaire. Est-ce que cela vous est déjà arrivé, est-ce que vous le referez, est-ce que vous reparlerez souvent de 14-18 comme ça ? André Luguet... - Moi, je trouve qu'il est toujours utile d'avoir des contacts. Et de parler entre anciens combattants qui ont été des adversaires c'est une chose qui dans une certaine mesure peut et devrait être constructive pour l'avenir c'est-à-dire obtenir que les hommes soient assez raisonnables pour ne plus jamais envisager la solution d'un conflit quel qu'il soit par les armes. - Ettighoffer, vous êtes d'accord ? - Oui, absolument et je dis... nous avons toujours dit pendant la guerre, si les Français et les Allemands étaient d'accord, le monde entier ne l'oserait pas nous toucher. - Oh la la... - René Arnaud... prenez une décision.. René Arnaud, vous êtes d'accord ? - Oh ! je suis tout à fait d'accord avec ce que vient de dire André Luguet et il est bien évident que nous avons maintenant compris et je ne pense pas du tout que notre génération puisse avoir la moindre hésitation sur ce point. Je suis moins sûr des réactions possibles des jeunes. - Jacques Meyer... - Oui. D'une part j'ai été moi aussi au serment de Verdun dont on a parlé tout à l'heure dans le cimetière de Douaumont il y a quelque et j'ai cru que c'était fini pour toujours. Mais ce qui s'est passé depuis m'a rendu beaucoup plis sceptique. Et je me dis que malgré la philosophie qui nus est commune entre combattants allemands et français parce que nous sentons des points communs, plus communs qu'avec ceux qui ne l'ont pas éprouvé, on ne peut pas être sûr de ce que l'engrenage des puissances, des hommes, des rivalités, des compétitions peut encore entraîner car les hommes sont la proie et le jouet des forces qu'ils déchaînent eux-mêmes et peut-être aujourd'hui plus qu'avant. - Eh bien, messieurs, je vous remercie. Je vous rappelle que nous avions autour de ce micro André Luguet, Jacques Meyer, René Arnaud. Et André Ancion pour l'Allemagne... - [Paul Ettighoffer], écrivain et historien, Peter, Marcel et Norbert - Merci |
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