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Titre :Émisson "Banc d'essai" - L'Impromptu des Bouffes parisiens (2)
Compositeur(s) et-ou auteur(s) :Jean Cocteau ; Albert Willemetz
Interprète(s) :Jean Cocteau ; Margo Lion
Genre :Reportage radiodiffusé
Fichier audio :
Support d'enregistrement :Disque
Format :30 cm aiguille (enregistrement électrique)
Lieu d'enregistrement :Paris, France
Marque de fabrique, label :Pyral zinc – Radio Luxembourg
Numéro de double-face :10052
Numéro de catalogue :5301-3858
Numéro de matrice :Py2271
Date de l'enregistrement :1939-01-13
Vitesse (tours/minute) :78
Matériel employé au transfert :Stanton 150, SME-Clément, pointe 3,2ET sur Shure M44, Elberg MD12 : courbe Westrex, Cedar X declick, decrackle
Date du transfert :15-05-2019
Commentaires :Texte du contenu ci-joint.
Texte du contenu :Emission "Banc d'essai"


1.
L'impromptu des Bouffes-Parisiens par Jean Cocteau, interprété par madame Margo Lion et par l'auteur.

Pour notre Banc d'essai de ce soir, étant donné les controverses qui ont entouré sa pièce Les parents terribles, Jean Cocteau a pensé que la forme de l'impromptu était celle qui s'accordait le mieux à l'actualité. L'auteur des parents terribles va d'abord vous exposer la raison pour laquelle il a composé pour nos auditeurs L'impromptu des Bouffes-Parisiens.

- L'impromptu de Versailles de Molière donné pour la première fois le 14 octobre 1661 est, avec quelques pages de Saint-Simon, une des très rares photographies instantanées qui témoignent d'une époque mystérieuse. En effet, comment pouvons-nous marquer la différence exacte entre le langage de la cour de Louis XIV et celui que Molière, Racine, Saint-Simon employaient d'une autre sorte et qu'ils marquaient des tics de leur âme et de leur esprit. S'il vous arrive de relire les manuels d'école où l'on imprime les chefs-d’œuvre, nous remarquons avec surprise que chaque mot singulier et pour ainsi dire faisant mouche au centre de la cible est mis par quelque pion naïf sur le compte d'une langue qui n'est plus la nôtre. De tous les genres d'un art avide de divertissement, d’intrigue et de double entente, l'impromptu, je le répète, demeure le plus significatif de la démarche, des gestes, du timbre des voix, de cette ménagerie assez terrible malgré ses grilles d'or. Nous nous imaginons peut-être assez bien le spectacle sans pouvoir d'aucune manière nous rendre compte du bruit, voix et musique, accent et orchestre qui devaient donner aux fêtes de Versailles quelque chose d'aussi dur et d'aussi particulier qu'une fête religieuse nègre sur la Côte d'Ivoire ou dans l'île de Pâques. Mais l'impromptu reste un instantané de ridicule et de gloire. Il les fixe et c'est justement à ce qu'il offre de futile et de fugitif qu'il doit sa force et son prestige. L'impromptu de Versailles est une réponse à des cabales. Ces cabales se reproduisent à dates fixes et sont inséparables de la réussite. C'est une chance parce que la cabale s'élève loin du spectacle et ne s'y mélange pas. Avec Les parents terribles, j'ai voulu résoudre le problème qui consiste à écrire une pièce qui ne puisse donner prise au moindre scandale. Le scandale est venu de lui-même et par où l'on ne pouvait l'attendre. Je ne vous en rebattrai pas les oreilles, il n'a fait que trop de vacarme et j'éprouve, l'avouerai-je, quelque honte d'en tirer chaque soir bénéfice. L'impromptu que vous allez entendre est une toute petite scène qui profite de cet étrange scandale afin de vous divertir un peu comme, toutes proportions gardées, de basses manœuvres contre Molière...

2.
[...] lui fournissaient prétexte à divertir le roi. N'êtes-vous pas le roi de 1939 ? Le roi public composé d'une foule de personnes qui laissent leur individualité au vestiaire avec leur manteau et leur chapeau pour n'être plus qu'un seul juge et qu'un seul monarque auxquels mes interprètes et moi avons au bout la faveur de plaire. Encore notre réussite ne va-t-elle pas sans malentendu. À la sortie du théâtre, avant-hier, nous entendîmes une dame hargneuse poursuivre son mari en fuite de cette invective : Tu me la recopieras, ton opérette ! C'est le danger auquel l'hospitalité charmante de Willemetz et le triomphe d'Yvonne Printemps exposent un dramaturge chassé comme pornographe du théâtre des Ambassadeurs.

- L'impromptu des Bouffes-Parisiens par Jean Cocteau, interprété par madame Margo Lion et par l'auteur.

3.
(toc toc toc)
- Qui est-ce ? qui êtes-vous ?
- Suis-je chez madame Estelle ?
- Je vous demande qui vous êtes
- Je ne suis pas extralucide. C'est à moi de vous demander si vous êtes madame Estelle.
- Je suis madame Estelle, je vous demande qui vous êtes
- Ah ! prenez garde, madame Estelle, que je ne reparte avant d'ouvrir cette porte car enfin vous êtes extralucide et vous devriez savoir qui je suis. Il est normal que je reparte si vous ne le devinez pas.
- Je suis extralucide quand je dors et je ne dors pas. Quand je suis éveillée, je crains les malfaiteurs comme tout le monde.
(la porte s'ouvre)
- Bonjour, madame Estelle.
- Bonjour, monsieur. Entrez dans le salon.
- On ne vous a jamais dit que vous ressembliez à madame Margo Lion ?
- C'est absurde. Nous sommes ici à la radio. Ma ressemblance avec madame Margo Lion ne peut être mise en cause.
- Ah ! là vous êtes très forte, je m'incline, madame Estelle. Avoir deviné que nous étions à la radio est simplement prodigieux.
- Et je ne dors pas !
- Allez-vous dormir ?
- C'est selon. Si vous m'intéressez, je dors. Si vous ne m'intéressez pas, je triche. Mais je crois que je vais dormir.
- Installez-vous, mettez-vous à votre aise. Moi, je reste là dans ce fauteuil, madame Estelle, et je ne bouge plus.

Dormez-vous, madame Estelle ?
- Je dors.
- Vous avez de la chance. J'ai toutes les peines du monde à m'endormir.Parlez, madame Estelle.
- Je parle. Qui êtes-vous ?
- Ce n'est pas à moi de vous le dire. Je ne vous dirai rien, j'attendrai que le mystère s'exprime par votre bouche. Dormez, madame Estelle, je le veux.
- Je dors
- Que voyez-vous ?
- Je vois deux femmes blondes, je vois deux jeunes hommes blonds, je vois une autre femme blonde, je vois un homme brun. Oh ! que je souffre...
- Ne souffrez pas, madame Estelle, et parlez ! Que voyez-vous encore ?
- Tus ces blonds, tous ces blonds dans du rouge.
- Est-ce du sang ?
- C'est du sang et ce n'est pas du sang. C'est du velours. C'est une salle de théâtre.
- Bon, bon, je vois de quoi il en retourne. Ce sont les personnages de ma pièce.
- Pièce en trois actes : Les parents terribles, écrite à Montargis, auteur : Coteau, Cocteau, Jean Cocteau, âgé de...
- Euh ! Inutile. Passez. Mon âge n'intéresse plus personne.
- Je vois un triomphe aux Ambassadeurs. Je vois un homme aux cheveux gris, il est grand, il penche en avant, sa tête tremblote, il aime ce théâtre, il veut ce théâtre, il l'a ! 47 hommes masqués le lui donnent. Ciel ! ils disent... !
- Que disent ces 47 hommes, que disent-ils, madame Estelle ? Dormez et parlez, je le veux
- Ils disent... je ne peux pas, je ne peux pas dire ce qu'ils disent.
- Pourquoi ? faites un effort !
- C'est trop obscène.
- Comment, obscène ?
- Oui, ils disent... oh ! quelle horreur ! ils disent que le fils se sauve avec la mère, que la mère se sauve avec la concierge, que la tante se sauve avec le père, que le père se sauve... je ne peux pas continuer.
- Allons allons, la suite ! la suite, la suite !
- On vous chasse du théâtre, on met des sergents de ville à la porte pour vous empêcher de sortir quoi que ce soit. Vous allez dans un autre théâtre. C'est dans ce théâtre que je vous ai vu d'abord.
- Madame Estelle, voilà qui est admirable. Dormez-vous profondément ?
- Je dors profondément.
- Dites-moi comment vous connaissez ce théâtre.
- J'y étais avec des billets à ...?... ou... non, non, non, non, non je n'y ai jamais été. Je vois dans mon sommeil ce théâtre, ce petit théâtre qui a toujours eu du succès. Je vois...
- Et moi, je vais vous dire, madame Estelle, ce que je vois. Je vois une charmante personne que j'ai très souvent rencontrée dans les coulisses des Ambassadeurs et des Bouffes-Parisiens. Madame Estelle, vous êtes amoureuse de Marcel André.
- C'est une calomnie !
- Ah ! rasseyez-vous, madame Estelle, ne vous dressez pas comme Phèdre. Il est possible que vous dormiez, j'en suis même convaincu mais vous n'en êtes pas moins amoureuse d'un de mes interprètes. Un père de famille. N'avez-vous pas honte !?
- Ah ! c'est atroce !
- Vous voyez bien. Nous allons devenir ne paire d'amis. Moi aussi je dors. Les poètes dorment. C'est même leur métier de dormir. Dormons ensemble, madame Estelle
- Monsieur !
- Ah ! je ne suis pas conseiller municipal, madame Estelle, et je ne vois pas des inconvenances où il n'y en a pas. Je veux dire : dormons ensemble de chaque côté de cette table et parlons-nous dans le monde des âmes. Pauvre madame Estelle, vous voilà donc amoureuse.
- Prenez garde ! si mon mari vous entendait, cela pourrait lui donner l'éveil.
- Vous rendez-vous compte, madame Estelle, que le pauvre Marcel André ne se doute même pas de la passion dont il est l'objet [...]

4.
[...] que moi seul connais cette intrigue, que vous écrivez sous des noms différents pour lui faire accepter vos fleurs et vos cigarettes, que vus déjouez mes ordres et que vous rôdez dans les coulisses en vous cachant derrière les habilleuses et derrière les machinistes. Souffrez-vous, madame Estelle ?
- Je souffre !
- Je suis venu pour vous rendre service.
- Ah ! que vous êtes bon. On m'avait toujours dit que vous étiez si méchant.
- Ah ! il ne faut pas écouter les choses que l'on raconte, madame Estelle. Il ne faut croire que ce que l'on voit et encore ! que ce que l'on voit dans mon sommeil et dans le vôtre. Parlez. Je vous écoute.
- Croyez-vous que Marcel André puisse répondre à ma passion ?
- C'est peu probable. Il a une femme qu'il adore et un grand fils qui joue dans une pièce de patronage écrite par mon ami Marcel Achard.
- Quel âge a-t-il ?
- Je vous ai dit que je détestais aborder la question des âges.
- Mais que faut-il faire ?
- Eh bien, si j'étais vous, je flatterais ses manies, j'apprendrais tout Racine et tout Molière par cœur et je viendrais lui demander un conseil sur la façon de jouer les classiques.
- Vous croyez que si j'apprenais tout Racine et tout Molière par cœur...
- Oh ! remarquez, je vous dis cela, c'est un moyen comme un autre. Je ne crois pas que vous arriviez à grand chose mais puisque je dors et que vous m'interrogez...
- Soyez pitoyable. Vous voyez bien l'état dans lequel je me trouve. Toute la journée je me promène et je regarde les affiches dont monsieur Roger Capgras inonde la Capitale. Ah ! en voilà un qui a de la chance ! Il peut voir Marcel André tant qu'il veut.
- Ah oui ! mais il a failli voir notre cher Constant Rémy à sa place. Notre métier, madame Estelle, est un métier plein d'embûches, de hasards et de coïncidences. Vous ne savez jamais la veille où vous jouerez le lendemain. Vous ne savez jamais la veille qui vous jouera le lendemain.
- Marcel André vous quitterait-il ? Est-il malade ?
- Rassurez-vous, il a une santé superbe et il est l'artiste le plus fidèle du monde.
- Mon cher poète, ne m'abandonnez pas. Pouvez-vous devinez quel est notre triste rôle de spectatrices ? Nous sommes chez nous, nous vivons une vie plate, dure, bourgeoise et puis tout à coup une circonstance nous mène au théâtre et nous voilà dans le rêve, un rêve qui n'aura pas de suite.
- Et le cinématographe ?
- Ah ! le cinéma n'est pas en chair et en os. Qui voulez-vous attendre à la sortie ? L'opérateur ? Mon mari est opérateur et je vous jure que ce n'est pas drôle. Non, non, vous ne vous rendez pas compte des ravages que peuvent provoquer vos pièces. J'aurais rêvé, moi, de rencontrer un homme qui me dorlote, qui me fasse des scènes de jalousie. Mon mari n'aimerait pas que je le trompe à cause de ses camarades mais au fond il s'en moque pas mal. Et puis nous sommes de faibles femmes, nous mélangeons les personnages et les interprètes. J'ai d'abord aimé le personnage de votre pièce et ensuite j'ai aimé l'interprète. Et cet interprète n'est pas libre. Avouez que je suis bien à plaindre. Donnez-moi un conseil.
- Je dors, madame Estelle, je dors. Interrogez-moi.
- Que faut-il faire ?
- Venir tous les soirs aux Bouffes-Parisiens et ajouter votre modeste obole à notre recette.Vous nous rendrez service, vous rendrez service aux pauvres et vous rendrez service à tous. Croyez bien, madame Estelle, que si les spectateurs et les spectatrices ne sont pas amoureux de quelque chose, les uns du théâtre, les autres de la poésie, les autres de l'intrigue...


5.
[...] les autres d'un comédien ou d'une comédienne, ils ne nous intéressent pas, ils sont du mauvais public, ce public qui préjuge, qui juge et qui, rentré chez lui, ne garde aucune trace de notre passage.
- Oui, je vois bien, je vois bien.
- Voyez, madame Estelle, je le veux
- Je vois !
- Que voyez-vous ?
- Je vois une pauvre femme qui a beaucoup de mal à gagner de l'argent, qui va le dépenser tous les soirs à votre théâtre.
- Hélas ! madame Estelle, je voudrais bien vous dire que monsieur Capgras et moi organiserons une séance gratuite pour les extralucides mais le conseil municipal nous l'interdirait. Il prétendrait que nous voulons troubler le sommeil des tireuses de cartes.
- Vous êtes bon. Prenez-moi la main.
- Je vous prends la main.
- Ça me donne chaud au cœur.
- Donnez, madame Estelle, j'ai votre main dans ma main. Je regarde votre main. Vous avez une ligne de chance superbe. La ligne de cœur, la ligne de tête se rejoignent et quel Mont de Vénus ! Vous avez tort de vous plaindre. Sous peu...
- Sous peu ?
- Sous peu je vois un blond, je vois un brun, je vois un roux, je vois des hommes de toutes les couleurs.
- Un voyage sans doute.
- Non-on, les aventures que méritent toutes les petites femmes éprises de théâtre et de rêve.
- Et maintenant vous allez partir et me laisser seule.
- Réveillez-moi !
- Non, non, pas encore. Dites-moi encore quelque chose, annoncez-moi encore des nouvelles agréables.
- Hélas ! il faut que je me rende au théâtre et comme vous vous y rendrez sans doute aussi, j'estime qu'il serait plus sage de nous séparer vite. Dormez-vous, madame Estelle ?
- Je dors
- Êtes-vous prête à recevoir mes ordres ?
- Je suis prête.
- Vous allez vous habiller, vous allez vous rendre aux Bouffes-Parisiens, vous entrerez, vous irez à la location et s'il reste encore des places vous prendrez un fauteuil.
- Un fauteuil ?
- Un fauteuil cher et vous en prendrez un chaque soir.
- Cher ? vous n'y pensez pas, je gagne cinq francs par séance !
- Dormez-vous ou ne dormez-vous pas ?
- Je dors.
- Vous prendrez un fauteuil cher et vous irez applaudir Marcel André dans Les parents terribles.
- Où suis-je ?
- Ah ! vous êtes chez vous avec un poète qui vient de se réveiller à son tour. Mais avec cette différence que lorsqu'il se réveille il continue de dormir et qu'il ne cesse jamais de dormir tout à fait.
- Ph ! excusez-moi, monsieur, mon réveil est toujours assez pénible.
- Au revoir, madame Estelle.
- Au revoir, monsieur. La séance avec vrai sommeil coûte dix francs !
- Je suis enchanté de l'apprendre. Vous me devez donc dix francs, madame Estelle.
- Moi ?
- Vous !
- C'est une indignité !
- Pardon. Vous m'avez demandé quelques conseils, je vous les ai donnés par l'entremise du sommeil poétique et je ne vous demandais rien en échange. C'est vous qui m'avez dit que la séance coûtait dix francs. Je ne connaissais même pas le tarif.
- Tenez, les voilà vos dix francs ! je suis bien volée.
- Gardez vos dix francs, madame Estelle. Le sommeil d'un poète n'a pas de prix, il faudrait que je vous demande une fortune. Par contre, je suis heureux que, endormie ou réveillée, ma pièce vous plaise. Voilà des places. Ne le dites pas au contrôle ni au percepteur car ces messieurs n'aiment pas qu'on donne des places à l’œil. Ils en tombent même malades.
- Et Marcel André ?
- Que voulez-vous dire, madame Estelle ?
- Mais... mais... je... je...
- Il n'y a pas de mais je je . Suis-je un entremetteur ou un dramaturge ? Vous dormiez si je ne m'abuse. Eh bien, vivez maintenant.
- Ne partez pas si vite. Écoutez-moi, écoutez-moi.
- Je vous verrai au théâtre.
- Oh ! ayez pitié d'une pauvre femme.
- Je n'ai aucune pitié. Vous êtes ressemblante, ressemblante à Margo Lion, vous êtes belle et vous avez un cœur romanesque. Il vous reste encore Jean Marais pour risquer vos chances.
- La jeunesse m'effraie. J'ai connu un jeune premier de cinéma qui profitait de mon sommeil pour...
- Assez, madame Estelle, assez ! je ne suis pas conseiller municipal.
- Quel dommage que je ne sois pas vraiment extralucide. Je saurais s'il faut aller au théâtre.



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