Recherche tout champ | Recherche avancée | Nouvelle recherche | Page d'accueil |
Titre : | Conférence de Jean Cocteau aux Éclaireurs de France à la générale d'Œdipe roi (4) |
Interprète(s) : | Cocteau, Jean |
Genre : | Discours de circonstance |
Fichier audio : | |
Support d'enregistrement : | Disque |
Format : | 30 cm aiguille (enregistrement électrique) |
Lieu d'enregistrement : | Paris, France |
Marque de fabrique, label : | Pyral zinc – Radio Luxembourg |
Numéro de catalogue : | 2296 |
Numéro de matrice : | Py2075-K029 |
Date de l'enregistrement : | Hiver 1936-1937 |
Instruments : | Déclamation, diction, monologue |
Vitesse (tours/minute) : | 78, monter |
Matériel employé au transfert : | Stanton 150, SME-Clément, pointe 3,0ET sur Shure M44, Elberg MD12 : courbe Westrex, Cedar X declick, decrackle |
Date du transfert : | 16-05-2019 |
Commentaires : | Texte du contenu ci-joint. Cocteau s'exprime à propos des répétitions d'Œdipe roi avant une répétition générale. En 1937, il était en contact avec de jeunes comédiens du cours d'art dramatique de Raymond Rouleau : ces jeunes sont manifestement des Éclaireurs de France. Le lieu serait-il la "Maison pour Tous", dite "La Mouffe" au 76 de la rue Mouffetard, lieu historique pour le scoutisme EDF et FFE, qui accueillit également Raymond Rouleau ? Il est intéressant de noter que Maurice Bayen (1902-1974), physicien passionné de théâtre, commissaire national des Éclaireurs de France, monta des pièces de théâtre telles que "Knock" et "Œdipe-Roi" à l'Oflag IV-D en Silésie où il était prisonnier avec d'autres scouts en 1940-1941. |
Texte du contenu : | Conférence de Jean Cocteau aux Éclaireurs de France à la générale d'Œdipe roi
1. Présenter monsieur Cocteau, c'est une tâche à laquelle il faudrait beaucoup d'audace mais je ne l'ai pas. Mais devant notre public de ce soir, je tiens à lui dire notre très profonde gratitude. Monsieur Cocteau était malade, il l'est encore. Il a renoncé tous ces jours-ci à plusieurs engagements, à plusieurs inaugurations auxquelles il devait aller car il ne pouvait pas y aller. Mais ce soir où il avait promis de parler pour des enfants malades il est venu quand même. Il m'a demandé, je le ferai, il m'a demandé de vous demander de l'excuser parce que, étant très fatigué, il n' pas pu préparer ce qu'il allait vous dire. Je vous transmets sa demande telle qu'il me l'a faite. Mais je sais d'avance que ce qu'il vous dira n'avait pas besoin d'être préparé car il le possède en lui-même depuis trop longtemps et il sait surtout trop bien le dire. Je n'ai qu'une chose à faire, c'est à lui dire encore une fois notre gratitude très profonde et très vite à lui céder la parole. 2. J'aurais voulu dire : "Mesdames, messieurs", mais après vous avoir observé pendant cinq minutes, je trouve que ce serait ridicule. Alors je vais me permettre de dire : "Mes chers amis". Mes chers amis, je n'ai pas assisté aux répétitions d'Œdipe. Ce n'est pas du tout parce que je me méfiait des Éclaireurs mais parce que j'avais confiance en eux. Je me suis toujours entouré de jeunesse parce que je n'ai jamais appris rien auprès des personnes qui étaient plus âgées que moi et j'ai toujours appris beaucoup de choses auprès des personnes qui étaient plus jeunes. Ce n'est pas du mépris de la vieillesse, je la respecte beaucoup, mais la vieillesse ne sait plus les choses que la jeunesse devine. Et il s'agit, n'est-ce pas, de soulever un rideau et c'est le geste de la jeunesse. Et le geste de la vieillesse c'est de s'asseoir près de ce rideau qui est retombé par terre. Par conséquent, je trouve qu'il y a plus d'avantages à voir des jeunes qu'à voir des gens de son âge ou des vieux. J'ai toujours eu le plaisir d'apprendre auprès des jeunes et, ce soir, je suis certain que je vais apprendre quelque chose en m'asseyant parmi vous et je n'avais pas besoin d'assister aux répétitions parce que je suis sûr et certain que ces jeunes gens ont fait le spectacle, ont composé le spectacle avec amour. Or tout ce qui est fait avec amour, c'est-à-dire fait par la jeunesse, parce que la jeunesse agit toujours avec amour, tout ce qui est fait avec amour est bien fait. Il est impossible qu'on se trompe. Et ce soir, si Œdipe n'est pas tout à fait en règle avec l'opinion que j'ai du spectacle d' Œdipe, eh bien, c'est moi qui aurai tort et c'est cette jeunesse des Éclaireurs qui aura raison. Mes chers amis, il y a deux attitudes très nettes, c'est l'attitude scolaire et l'attitude vivante. Et c'est ce soir une victoire sur l'attitude scolaire à laquelle vous allez assister, j'en suis sûr. Pourquoi ai-je... me suis-je permis de traduire Œdipe qui était déjà traduit et très bien ? C'est parce que j'ai pensé qu'il serait utile de mettre Œdipe au rythme et au tempo de notre époque c'est-à-dire d'agir vis-à-vis d'un chef-d’œuvre comme à Hollywood on fait vis-à-vis des visages féminins, c'est à dire de retendre, de couper un chef-d’œuvre, de le retendre, de lui donner en somme une jeunesse factice... ou bien pire. Œdipe, sorti de mon livre de classe, est inécoutable parce que d'abord il faut bien vous dire que quand on allait entendre la tragédie en Grèce, on y allait à cinq heures du matin et que aujourd'hui il serait assez difficile de réunir un bon public à cinq heures du matin. On entendait les coqs et, tenez, je vais vous raconter parce que nous sommes déjà devenus de très grands amis, je vais vous raconter quelque chose qui n'a pas beaucoup de rapport avec Œdipe. Et parce que Œdipe n'a pas été donné au théâtre d'Athènes. Quand j'ai fait le tour du monde... 3. [...] pour Paris-Soir, je suis monté sur l'Acropole. J'y suis monté, certain que c'était magnifique parce que les lieux communs ont toujours raison. Ils sont recouverts d'un peu de patine, d'un peu de saleté, il suffit de frotter et on retrouve un chef-d’œuvre frais qui et toujours sous le lieu commun. Les lieux communs sont des gros chefs-d’œuvre et ce n'est pas parce qu'on a beaucoup parlé de l'Acropole qu'il faut mépriser l'Acropole ou bouder l'Acropole. Je montais donc vers l'Acropole mais sans me rendre compte que c'était si beau et si jeune et si neuf. Et voilà pourquoi je dis jeune et neuf. J'étais avec un homme très jeune qui m'accompagnait dans mon voyage, qui est Marcel Khill qui était mon Passepartout et tout à coup en regardant autour de lui il s'écria : Mais ce n'est pas des ruines, c'est cassé ! et il m'a donné le secret de l'Acropole. En effet l'Acropole n'est pas une ruine, l'Acropole c'est cassé. L'Acropole a sauté parce que le doge Morosoni, si je ne me trompe, que dans mon livre j'ai dit que c'était l'escadre anglaise. Alors c'est une grosse gaffe mais le livre était imprimé, il était trop tard pour ravaler ma salive mais en réalité ce n'est pas l'escadre anglaise, c'est le doge Morosini qui a fait éclater un dépôt de dynamite et quand on est à l'Acropole on se rend très bien compte qu'il ne s'agit pas de ruines, de quelque chose qui est devenu vieux avec noblesse mais de quelque chose de cassé c'est-à-dire d'un accident automobile, de membres épars et si j'ai comme Maurras embrassé une colonne de l'Acropole, moi qui m'était tant moqué de Maurras, eh bien, si je lui ai demandé pardon quand je suis rentré à Paris c'est que je n'ai pas pu m'empêcher d'embrasser une chose vivante, mais ce que Maurras ne m'avait pas dit, c'est que, dans les colonnes du Parthénon il y a un espèce de sang qui circule et que vraiment, je vous affirme que quand on les regarde en face, on se rend compte qu'on pourrait recueillir ce sang à la base des fûts comme dans les pinèdes aux environs d'Arcachon on recueille la résine en bas des pins dans des petits pots. On pourrait mettre des petits pots en bas des colonnes du Parthénon et je vous affirme qu'on y recueillerait du sang et de la lumière. C'est un colosse blessé debout, un colosse blessé debout, accidenté, sublime et à travers lequel le sang circule. Et les coquelicots qui étaient autour de nous avaient l'air des éclaboussures de tout cet accident épouvantable. Et ce que vous allez voir tout à l'heure, je ne l'ai pas vu mais je suis certain que ce seront de ces merveilleuses petites essences qui est dans ces pots recueilli à l'Acropole et au Parthénon. Et c'est cela que vous allez entendre tout à l'heure. Vous allez voir, versée devant vous, cette résine mystérieuse parce que là se trouve la jeunesse. Malheureusement, au collège, - il y a peut-être parmi vous des professeurs et je suis sûr qu'ils ne me contrediront pas - on apprend les choses et après on en a un ennui. Et puis, passé cet ennui, on les retrouve. De même que on a un page imbécile, un âge, je souhaite que personne ici ne le possède, parce que ici, vous savez, un âge, enfin, l'âge ingrat, il a un nom célèbre. Et puis après on retrouve quelquefois son enfance. Et il est à redouter qu'on ne retrouve pas cette enfance parce que ce qui et très triste au théâtre par exemple, c'est de voir un public de grandes personnes. Public de grandes personnes, c'est terrible. Et si on retrouve son enfance, on retrouve aussi l'avidité de voir, d'entendre, de connaître, la fraîcheur, il n'y a plus de miroir déformant entre les spectacles et nous et alors les spectacles entrent, se ruent dans la personne et ne se ruent pas avec un cortège de déformations pourrait-on dire professionnelles. Eh bien, La Fontaine, pour beaucoup de gens, c'est un poète d'enfant, eh bien, ces gens-là se trompent parce que La Fontaine est un très, très, très grand poète. Beaucoup de jeunes gens croient que Racine est un raseur, eh bien, Racine n'est pas un raseur, c'est un très, très grand dramaturge et même Corneille, il est évident que je ne vous cacherai pas que j'ai relu des tragédies de Corneille qui font quelquefois penser à Œdipe Roi mais malgré tout c'est un très, très grand dramaturge, n'est-ce pas et un très grand poète. Eh bien, il ne faut jamais oublier que la beauté, on l'élève à l'école comme on élevait des hannetons quand on était petit dans son pupitre. Enfin, on l'élève en cachette, on se cache du professeur. Et puis alors on apprend des choses très ennuyeuses, on passe des concours et puis après on oubliera ces concours, on oubliera ces choses très ennuyeuses et tout ce qu'on a appris vous reviendra... 4. [...] ayant poussé dans un humus mystérieux vous reviendra et sortira de vous d'un manière complètement inattendue, à laquelle vous ne vous attendiez pas le moins du monde, et ça c'est la jeunesse des œuvres quelque âge qu'elles aient. Et il est inutile de croire que Œdipe est une vieille pièce. Œdipe est une pièce toute jeune. On pourrait même voir que c'est une espèce de pièce policière et même vous lui trouverez beaucoup de rapports avec ce qui se passe à l'heure actuelle dans le monde. Mais ça, je ne veux pas en parler parce que j'ai promis derrière que je ne parlerais pas de politique, d'ailleurs je n'aime pas parler politique mais enfin je ne ferai aucune allusion qui pourrait être prise pour de la politique. Mais enfin, ce que vous verrez tout à l'heure, vous serez étonnés, je ne sais pas comment ces jeunes gens l'interprètent, mais je vous dis que vous serez étonnés par une double fraîcheur, la fraîcheur de leur interprétation et la fraîcheur du texte. Parce que ce que j'ai cherché de faire, c'est de restituer à ce texte alourdi par l'âge sa fraîcheur. Eh bien, la fraîcheur se trouve dans un texte qui est illustre, il suffit de la découvrir. Le travail était très facile, il s'agissait simplement de prendre la ligne rouge qui traverse, la ligne pourpre qui traverse ce drame et d'enlever tous les entrelacs de feuillage et tous les pampres qui en faisaient une sorte de thyrse magistral surtout quand il était joué par Mounet-Sully mais après la mort de Mounet-Sully, ma foi, il ne restait d'Œdipe que quelque chose de très ennuyeux à entendre. C'est pourquoi je me suis permis, je le répète, de faire subir à ce chef-d’œuvre le traitement des vamps de Hollywood c'est-à-dire de le couper, de le recoudre, de le retendre, de lui faire des grands yeux très larges et je crois, ma foi, que l’œuvre au lieu d'y perdre y gagnera. Et selon la parole de Stravinsky à qui quelqu'un reprochait parce qu'il avait touché à Pergolèse de ne pas aimer Pergolèse, il dit : "Vous, vous respectez Pergolèse mais moi je l'aime", dit Stravinsky avec cette bouche... mâchoire de rapace qui donne une force extraordinaire à toutes les paroles qu'il prononce, "Moi, je l'aime et je veux me marier avec" disait-il. Et c'était super parce qu'en effet en se mariant avec Pergolèse ils ont eu des enfants et ces enfants c'était Pulcinella et toute cette orchestration magnifique qui fait que les gens qui ne connaissaient plus Pergolèse se sont mis à dire : "Ah ! Pergolèse, comme c'est beau !" parce qu'ils le réentendaient, ils le revoyaient à l'état de fraîcheur. Il s'agit toujours de mettre les choses sous un angle neuf et de les faire entendre à l'état de fraîcheur. Eh bien, j'affirme que vous allez entendre une pièce rapide, nourrie, tendue, fraîche, jeune et que si vous étiez dans l'obligation d'entendre Œdipe tel qu'il se trouve dans votre ..?.. de collège, eh bien, beaucoup de gens chercheraient la sortie avant que Œdipe prononce les dernières paroles du drame. Voilà. Je me suis permis de prendre la place de ces jeunes gens parce que j'avais proposé moi-même de prononcer quelques paroles avant Œdipe mais je trouve que c'est tout à fait inutile. Un monsieur qui vient avant une pièce est toujours très, très ennuyeux et si je suis venu ce soir, ce n'est pas du tout pour vous parler de la pièce, pour vous parler comme on vous l'a promis sur le programme ..?.. parce que je suis un cancre. J'ai toujours été un cancre, vu qu'au collège j'avais toujours le prix de gymnastique et celui de dessin qui sont les prix des cancres, j'étais la honte de la Saint-Charlemagne parce que j'étais à la Saint-Charlemagne pour embêter le proviseur parce que j'avais remporté ces prix de cancre... 5. [...] je suis resté un cancre et quand je m'occupe des choses c'est parce que je les aime et parce que je leur trouve de la jeunesse. Eh bien, je ne vois ici que de la jeunesse et que de l'amour. C'est pourquoi je, même si je bafouille un peu, je n'ai aucune espèce de gêne et maintenant, mesdames, messieurs, ou plutôt mes chers amis parce que mesdames, messieurs ne va pas, je vous laisse en contact avec un des drames les plus beaux et les plus rapides qui existent dans le monde et vous allez vous rende compte que ce drame est jeune et pour le représenter il faut des jeunes gens. Par exemple, tout à l'heure, j'ai été dans les coulisses et j'ai vu que les acteurs cherchaient à se faire des rides. Je leur ai conseillé de prendre une serviette et d'essuyer les rides parce que vous vous rendrez très bien compte qu'un vieux berger est un vieux berger, que Créon n'a pas l'âge d'Œdipe, qu'Œdipe n'a pas l'âge de Tirésias, que Tirésias n'a pas l'âge de Jocaste. Enfin, vous connaissez assez la pièce pour que des rides deviennent inutiles et je trouve qu'il faut veiller (?) surtout un spectacle de fraîcheur, la fraîcheur de l'Antiquité, la fraîcheur de l'éternité parce que le temps n'existe pas. Le temps, c'est comme quand on plie une feuille de papier et on découpe n'importe quoi, on déplie et il se forme une dentelle miraculeuse. Eh bien, dites-vous bien que le temps est une blague, que la pièce a été écrite hier, que je suis pour très peu de chose et que ce que vous allez entendre, ce n'est pas une pièce de Jean Cocteau mais c'est une pièce de Sophocle et comme on l'entendait à l'époque. Parce qu'à l'époque on était habitué à un autre tempo que le nôtre, qu'on entendait la pièce, on y arrivait à cinq heures du matin, on restait jusqu'à cinq heures du soir et on faisait... on avait une beaucoup plus grande dose d'attention. Par conséquent, la pièce que vous allez voir, je l'ai remise simplement à votre perspective mais ce n'est pas une autre pièce, je n'ai pas changé un mot, je n'ai pas changé une ligne et donc ce que vous allez voir ce n'est pas une pièce de Cocteau, c'est une pièce de Sophocle. J'insiste beaucoup parce que dans les journaux on a dit que c'est une pièce que j'avais arrangée. Je n'ai pas arrangé la pièce, je n'ai pas changé une syllabe. Maintenant, je cède le plancher à des jeunes gens qui se sont donné beaucoup de mal pour vous plaire et qui ne me servent pas parce que, moi, on n'a pas à me servir, mais qui servent en vous récitant la pièce un état d'esprit éternel qui est l'état d'esprit du sang c'est-à-dire de la tragédie, du drame et de l'extrême jeunesse sans laquelle on n'imagine jamais cette chose écarlate qui coule dans les veines, qui fait la beauté des visages et la tragédie des lieux du crime. Mesdames, messieurs, mes chers amis, je vous quitte pour céder la place à des acteurs qui méritent beaucoup plus les applaudissements que moi. |
Recherche tout champ | Recherche avancée | Nouvelle recherche | Page d'accueil |