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Titre :Cinquantenaire de la tour Eiffel (4) Entretien avec M. Thomas, directeur de la tour Eiffel (fin) – entretien avec René Clair
Interprète(s) :René Clair
Genre :Discours de circonstance
Fichier audio :
Support d'enregistrement :Disque
Format :30 cm aiguille (enregistrement électrique)
Lieu d'enregistrement :Paris, France
Marque de fabrique, label :Pyral zinc – Radio Luxembourg
Numéro de double-face :20273
Numéro de catalogue :Réserve D2
Numéro de matrice :Py2069-K048
Date de l'enregistrement :1939-03-29
Instruments :Déclamation, diction, monologue
Vitesse (tours/minute) :78
Matériel employé au transfert :Stanton 150, SME-Clément, pointe 2,2ET sur Shure M44, Elberg MD12 : courbe Westrex, Cedar X declick, decrackle
Date du transfert :16-05-2019
Commentaires :Texte du contenu ci-joint.
Texte du contenu :
1.
Cinquantenaire de la tour Eiffel par Pierre Duflot/Duclos [?]
- Aujourd'hui, sur la première plate-forme de la tour Eiffel a été célébré le cinquantenaire de l’œuvre de monsieur Eiffel
- C'est en effet en avril 1889 qu'a été inauguré ela tour métallique qui ne portait pas encore le nom de son constructeur.
- Mais qu'on nommait tout simplement la tour de trois cents mètres.
- Radio Luxembourg a eu la chance de pouvoir découvrir un de ceux qui ont construit la tour de trois cents mètres.
- Monsieur Alesi, en 1888, avait vingt ans. C'est dire que ce sont des souvenirs bien lointains qu'il va évoquer pour nos auditeurs.
- Je faisais mon service, mais ça c'est après mon congé. Avant la terminaison de mon congé, j'y avais travaillé trois mois.
- Oui, en qualité d'ouvrier monteur.
- Oui.
- Vous faisiez de l'acrobatie là-haut dans...
- Oui, dans la ferraille
- ...les poutrelles de fer, c'est ça
- Dans la ferraille, c'est ça.
- Après, vous êtes retourné au service militaire, au régiment.
- Oui, c'est ça
- Et enfin vous êtes revenu définitivement.
- Oui, le 12 septembre... le 15 septembre 88.
- Vous avez une mémoire prodigieuse. Le 15 septembre 88, vous êtes donc entré définitivement à la tour Eiffel.
- Oui, je connaissais ces messieurs qui n'ont pas hésité à me reprendre, naturellement.
- Et alors là vous avez continué à travailler à la construction de la tour Eiffel.
- Pas dans la construction précisément. Il a été installé un monte-charge actionné par une locomobile à vapeur qui commandait deux treuils. Au lieu de monter les fers à la main, on se servait de cette machine pour...
- Oui, parce que...
- Pour accélérer le montage des fers.
- Parce que c'était peut-être un peu fatigant en effet de les monter, comme vous dites, à la main, parce que à ce moment-là, la tour s'élevait déjà à quelle hauteur ?
- Elle arrivait au deuxième étage
- Oui, ça devenait coquet. Vous avez donc eu la charge de cette locomobile
- Et de la conduite des treuils.
- Et ceci jusqu'à la fin de la construction de la tour.
- Jusqu'à la fin de la construction.
- Eh bien alors ça nous amène tout naturellement à l'inauguration de la tour à laquelle, bien entendu, vous avez assisté.
- Oui.
- Eh bien, voulez-vous la raconter pour nos auditeurs ?
- L'inauguration, mais je ne saurais vous préciser la date, elle a eu lieu en avril, elle a été faite pas le président du Conseil actuel qui était monsieur Tirard, elle a eu lieu dans le pilier ouest au sol. Au sol dans le pilier ouest, une tribune avait été improvisée.
- Et il n'y a pas eu un banquet ?
- Il y a eu un banquet mais plus tard, pas ce jour-là.
- Et ce n'est pas le jour du banquet ...
- Non
- ... où vous avez été reçus par monsieur Sadi Carnot ?
- Ah ! non, ça je... pas dire de mémoire
- Enfin, je sais, vous avez été reçus par le président de la République à l'Elysée.
- Oui, nous y avons été.
- Eh bien, racontez-nous comment cela s'est passé.
- Ah ! que nous étions là tous, nous étions alignés sur les rangs puis monsieur Sadi Carnot avançait, nous a serré la main avec un mot de remerciement et d'approbation à tous, enfin.
- Et bien entendu...
- Et puis nous avons sablé le champagne. Il nous a félicités tous.
- Et quelle impression vous a fait monsieur Sadi Carnot ?
- Ah ! c'était un brave homme et puis alors d'un affabilité ! Une bonne physionomie, vous savez.
- Il vous était sympathique.
- Je n'ai pas vu président de la République avec une figure plus sympathique.
- Vous avez été nommé sous-chef à quelle époque ?
- En 1900, pendant l'Exposition.
- Et enfin chef ?
- En 1911... 1910
- Vous avez connu le capitaine Ferrié ?
- Il était constamment journellement là avec nous. Nous l'alimentions de courant, je vous dis, avec une petite machine de huit kilowatts.
- Vous avez donc assisté aux premières expériences de T.S.F. faites à la tour.
- Oui, je vous le répète, ils ont été très laborieux.
- Ah ! ils ont été laborieux.
- Très laborieux. Mais monsieur Eiffel les ....
- Monsieur Eiffel les a puissamment aidés.
- Aidés, oui, parce qu'il était convaincu par les confrères
- Et monsieur Eiffel, vous avez dû le voir journellement.
- Oh ! on le voyait quotidiennement pendant les travaux
- Et je crois qu'il était très aimé, n'est-ce pas ?
- Il était très aimé mais, je vous le répète, il était un peu...

2.
[...] distant avec nous, vous voyez, d'ailleurs c'était son rôle.
- Eh bien, parmi... vous avez passé donc combien d'années à la tour ?
- Trente-deux consécutives mais j'y retournais beaucoup depuis.
- Vous y êtes retourné beaucoup depuis. Et vous avez passé les trente-deux ans, si je puis dire, à...
- Consécutives, oui, consécutives
- À part les années où vous avez travaillé à la construction, vous les avez passées dans le pilier sud.
- Dans le pilier sud
- Dans les sous-sols.
- Dans le sous-sol, oui, du pilier sud.
- Ce qui est assez paradoxal d'ailleurs mais de temps en temps j'espère que vous preniez bien l'ascenseur et que vous alliez un petit peu voir là-haut sur la troisième plate-forme.
- J'ai été plus de dix ans sans monter dans la tour, ça ne me tentait pas.
- Alors vous y êtes resté dix ans à travailler dans la tour Eiffel sans y monter ?
- Sans y monter
- C'est assez amusant et paradoxal.

- Après cette évocation des heures glorieuses qui virent naître et grandir la réputation de la tour Eiffel, c'est à celui qui aujourd'hui en a la charge que nous avons demandé de venir dire quelques mots à nos auditeurs.
- Monsieur Thomas est le fils du compagnon d'Eiffel, de celui qui fut le plus fidèle collaborateur du grand ingénieur.
- Écoutez monsieur Thomas, administrateur de la tour Eiffel.
- [...] légendes qui courent sur la tour Eiffel et qui quoique très séduisantes ne correspondent pas à l'exacte vérité. Il en est une notamment qui veut que la tour repose sur des presses hydrauliques. À l'origine c'était exact car, pour faire le niveau de la tour, les fondations reposaient sur des vérins hydrauliques mais depuis ils ont été noyés dans le ciment et c'est un bloc parfaitement solide sur lequel repose la tour. Aussi peut-on dire qu'en cas d'inondation de la Seine la tour ne saurait en supporter le contrecoup, c'est-à-dire pencher ni à droite ni à gauche.
- Eh bien, précisément, permettez-nous une question, monsieur Thomas. La tour Eiffel subit-elle, oui ou non, subit-elle réellement des oscillations ?
- Il est exact que l'on observe sur la tour des oscillations mais dont l'amplitude a été très exagérée. Au sommet, celles-ci sont au maximum de douze à quatorze centimètres et non pas de plusieurs mètres comme certaines personnes le pensent. Au point de vue de la dilatation du métal, beaucoup de choses inexactes ont été aussi dites. Tout au plus pourrait-on observer que la tour s'incline légèrement vers le nord du fait de la contraction du métal au nord et de la dilatation au midi. En tout cas, il est impossible de le repérer à l’œil nu. Maintenant, si les calculs vous intéressent, je peux vous citer celui établi par Charles-Édouard Guillaume qui fut, comme vous le savez, directeur du Bureau international des poids et mesures. Voici en quoi il consiste : Supposez un instant que l'on fonde la tour au four électrique et que l'on verse le bain métallique liquide ainsi obtenu sur la surface occupée par les pieds, quelle hauteur pensez-vous qu'il atteindrait ?
- Oh ! je ne sais pas trop. Il faudrait d'abord connaître la superficie de la base. Elle représente combien de mètres carrés ?
- Eh bien, les pieds étant éloignés de cent mètres, cela fait donc un hectare ou dix mille mètres carrés.
- Eh bien, disons trois ou quatre mètres de hauteur ? La tour en effet est une véritable dentelle de fer et ça ne doit pas faire très haut.
- Malgré cela, ce bain atteindrait tout au plus six centimètres.
- Six centimètres ! et ces six centimètres représenteraient combien de kilos ? Autrement dit, quel est le poids de la tour Eiffel ?
- Assez exactement six millions cinq cents mille kilos. Et comme elle a coûté six millions cinq cents mille franc, vous pouvez en déduire qu'à l'époque...

3.
[...] elle valait tout au plus vingt sous le kilo.
- Ben, c'est vraiment pour rien.
- Il est certain que maintenant elle vaudrait beaucoup plus cher. Je ne pense pas en tout cas que le chiffre de la dépense serait inférieur à soixante millions.
- Eh bien, je persiste à dire que c'est vraiment pour rien.
- En effet, ce n'est pas cher et cependant il faut bien dire qu'à l'origine tout a été construit avec le plus grand soin puisque les ascenseurs, par exemple, s'élèvent à la vitesse d'environ deux mètres cinquante à la seconde, ce qui n'est pas mal du tout si l'on considère qu'ils marchent depuis cinquante ans.
- Eh bien, ça prouve que la tour Eiffel est remarquablement entretenue. D'abord, on s'en rend bien compte, elle est toujours impeccable, elle est toujours propre comme un sou neuf. Vous devez la faire repeindre très souvent et ça ne doit pas être une petite opération.
- Hé non, quarante tonnes de peinture tous les sept ans, ni plus ni moins. Et naturellement, pour remettre la nouvelle couche, on est obligé de gratter l'ancienne sans quoi il y aurait une surcharge de poids excessive. Pensez que depuis la construction elle a été repeinte sept fois, ce qui ferait une surcharge de deux cents quatre-vingt tonnes. Ce sont des spécialistes qui, bien entendu, sont chargés de ce travail délicat. Ils ne doivent pas connaître le vertige et on les recrute généralement parmi d'anciens marins. Spécialistes aussi ceux qui ont posé les lettres de notre publicité lumineuse. Un détail curieux qui nous a plongé dans une profonde perplexité - C'était à proprement parler le mystère de la tour Eiffel - toutes les ampoules colorées en rouge étaient systématiquement démolies et uniquement les ampoules rouges. Un beau jour, nous nous sommes aperçus que c'était le corbeaux qui les démolissaient à coups de bec, les prenant pour des fruits.
- Qu'est-ce que vous avez fait ? Vous avez mis un épouvantail ?
- Hum, mais nous avons évité le plus possible cette couleur.
- Monsieur Thomas, vous devez certainement connaître beaucoup d'histoires, beaucoup d'anecdotes sur la tour. Vous venez d'en raconter de fort amusantes. En connaissez-vous qui soient, comment dirais-je ? qui soient émouvantes, qui datent des premières années ?
- Une des plus caractéristiques est vraisemblablement celle qui s'est passée en 1891 dans les appartements de monsieur Eiffel au quatrième étage. Il y avait là Gounod, le célèbre compositeur, monsieur Eiffel et un certain monsieur qui avait sous son bras une mystérieuse petite boîte. Monsieur Eiffel demande à Gounod de jouer une de ses œuvres, ce que le célèbre compositeur fit avec beaucoup de bonne grâce. C'est probablement la première fois qu'on avait l'occasion de jouer du piano à une pareille altitude. À la stupéfaction de Gounod, à peine avait-il terminé que de la mystérieuse petite boîte sortaient des sons qui reproduisaient exactement ce concert improvisé. Le propriétaire de cette boîte n'était autre qu'un certain Thomas Edison avec un des tout premiers phonographes de son invention.

- Mais si l'on considère aujourd'hui la tour Eiffel comme le véritable clocher de Paris, il n'en a pas toujours été ainsi.
- 1889 qui est la date de l'inauguration de la tour Eiffel est celle aussi de la pétition que signèrent des écrivains et des artistes aussi connus qu'Alexandre Dumas, Guy de Maupassant, François Coppée, Charles Gounod pour protester contre un monument qui déshonorait, estimait-on alors, le paysage de Paris.
- C'est au lendemain de la guerre surtout qu'on s'est aperçu que bien loin d'enlaidir le panorama de la Capitale...

4.
[...] la tour Eiffel était douée d'un beauté qui pour être mécanique n'en était pas moins réelle. C'est alors que des écrivains comme Jean Giraudoux et Alexandre Arnoux lui consacrèrent de lyriques hommages. René Clair, lui, fit mieux encore. C'est un film entier qu'il a tourné à la gloire de la tour cependant que celle-ci sert de décor à une autre des ses œuvres.
- Paris qui dort.
- Monsieur René Clair a bien voulu joindre sa voix à l'hommage que Radio Luxembourg rend aujourd'hui pour ses cinquante ans à la tour Eiffel.
- Écoutez l'auteur de À nous la liberté, de Sous les toits de Paris, de Quatorze Juillet et de Fantôme à vendre.
- Un petit Parisien est comme les autres enfants. Le décor de la vie se compose autour de lui et se peuple d'animaux fantastiques. La plus étrange, la plus effrayante, la plus jolie aussi des bêtes réelles ou imaginaires auxquelles a rêvé mon enfance, c'est la tour Eiffel. Je me souviens encore du jour où pour la première fois je suis passé sous ce qui me semblait être le ventre de cette créature incroyable. On sait que tous les objets paraissent plus grands pour l'enfant. Combien de monuments, de bassins et de parcs immenses autrefois ont rapetissé pour nous à l'époque de l'adolescence ! Seule, pour une raison mystérieuse, la tour Eiffel est restée aussi grande à mes yeux qu'elle l'était aux yeux du gamin que j'étais qui la contempla pour la première fois. Elle se dresse au milieu de Paris comme le dragon des légendes et semble sortir encore aujourd'hui pour moi du fond de mon passé. Quand il m'arrive de me promener entre ses quatre pattes, je retrouve la première sensation qu'elle m'a donnée et je m'émerveille encore du sentiment de l'incroyable, sentiment bien rare et qu'il faut cultiver précieusement dans une époque qui n'est plus prête à s'étonner du moindre miracle. Comme la plupart des habitants de Paris, je n'étais jamais monté sur la tour Eiffel jusqu'au jour où des raisons professionnelles m'obligèrent à faire cette ascension. Depuis, je suis retourné si souvent à cette dernière plate-forme qu'il me semble y avoir passé une partie de ma vie. Mais ce n'est pas du haut de ces trois cents mètres de métal que j'admire la construction des stèles, c'est d'en bas que le miracle m'apparaît et, cinquante ans après la naissance de la tour, il me semble encore surprenant que des boulons puissent fixer à des nuages des poutres de métal. Chère tour Eiffel, elle a connu le destin des grandes étoiles, elle a été tour à tour décriée, adulée, oubliée. Une époque l'a présentée comme le monstre symbolique de la laideur contemporaine, une époque plus récente a découvert en elle la plupart des lois de l'esthétique moderne jusqu'au jour où le triomphe du ciment armé et de la ligne droite l'ont fait apparaître comme une gentille ancêtre pleine de bonnes intentions mais tout de même un peu démodée. Il n'est pas impossible pourtant [qu'elle connaisse une nouvelle revanche. En effet, si les grandes lignes rigides du béton ont triomphé et imposé une esthétique nouvelle à la docilité de notre œil, il n'est pas difficile de prévoir que nous nous lasserons plus vite qu'on ne le pense de ce triomphe de la sécheresse et de la stérilité]



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