Création : Nibor (1923)
Ils s’étaient connus un soir sur un banc
Ils s’étaient parlé tout en se causant
Elle vendait des fleurs devant les cafés
Lui vendait sa ch’mise quand il était fauché
Ils se sont mariés y a trois mois
Sans jamais s’expliquer pourquoi
Elle n’était pas belle, lui n’était pas beau
Elle avait l’air bête et lui d’un ballot
Elle avait des poils follets sur les seins
Lui n’avait qu’un poil, c’était dans la main
Elle avait trois dents blanches comme de l’ivoire
Lui n’avait qu’deux pieds mais ils étaient noirs
Et pourtant, et pourtant
Ils s’aimaient bien tendrement
Un dimanche matin afin d’passer l’temps
Comme ils s’embêtaient, ils firent deux enfants
Un garçon, une fille qu’ils n’ont pas r’connus
Qui tous les douze mois avaient un an de plus
Quand ils eurent chacun vingt ans
C’était tout l’portrait d’leurs parents
Elle n’était pas belle, lui n’était pas beau
Elle avait l’air bête et lui d’un ballot
Elle buvait la joie d’un bonheur sans nom
Lui buvait l’matin douze amer picon
Elle aimait être seule une fois d’temps en temps
Lui aimait être saoul et presque tout l’temps
Et pourtant, et pourtant, et pourtant, et pourtant
Ils s’aimaient bien tendrement
Un jour, ils sont morts sans savoir comment
En perdant la vie très probablement
Et pour qu’ils ne puissent plus se disputer
On les enterra chacun de leur côté
Tant pis pour eux car franchement
Ils n’étaient pas intéressants
Elle n’était pas belle, lui n’était pas beau
Elle avait l’air bête et lui d’un ballot
Elle souffrait aussi d’avoir cette vie-là
Lui souffrait aussi mais de l’estomac
Et c’est en souffrant qu’elle trépassa
Lui c’est en soufflant qu’une mouche tomba
Et pourtant, et pourtant, et pourtant, et pourtant
Ils s’aimaient bien tendrement