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André Lebey
Ligue française de l'enseignement (fédération de S. et O.) - Collection scolaphone - enregistrement VEG-∆, Série type B.J.43 et B.J. 44 (1932).
[Face 1]
Rien de plus funeste, surtout à la France, que les sociétés artificielles. Rien de plus mauvais à la santé physique et morale de chacun que de se mentir. Qui se ment à soi, ment aux autres. Ouvrons-nous courageusement avec lucidité sur les confidences de ce qui devrait être. Prenons l'habitude, quoi qu'il puisse en advenir, de dire la vérité. Ce sont les sociétés fausses qui rongent les patries et les égards en attendant de les perdre qui font les mauvais hommes et les méchantes femmes. N'acceptons pas de suite pour vrai ce qu'on nous donne comme tel. Prenons l'habitude de réfléchir, examinons, jugeons nous-mêmes. Développons à la fois notre intelligence et notre sensibilité, elle ne se sépare point. La seconde sans la première égare, la première sans la seconde reste stérile. Préparons-nous à bien vivre chaque jour, dès le matin, dans la fraîcheur des heures sereines. Noctes vigilaris sirenas. Nous en serons plus forts, mieux d'aplomb, souriants, tranquilles, toute la journée. Puis le soir, la tâche accomplie, satisfaits. Le croyant récite sa prière. Que celui qui a une autre foi ou qui n'en possède point encore s'entraîne à faire de chaque jour qu'il va vivre une page du grand Livre de Vérité. Si tout le monde s'y efforçait tout serait meilleur. Et les hommes d'accord, ou presque.
Nos actes et nos pensées s'inscrivent quelque part, ne serait-ce que sur nos traditions particulières, celles que nous tend le destin, et ils y décident de notre avenir. Jeune homme, prends garde de ne pas manquer ton départ. Tu t'en ressentirais toute ta vie durant. Soyons véridiques, ayons de bons sentiments. Ils rendent plus heureux que les mauvais. Il nous faut voir le mal pour le vaincre, le bien pour l'accomplir, Le vrai pour le proclamer. Ils nous mettent au cœur du peuple et de la vie. Ils nous renouvellent, ils nous réalisent. Les grands artistes ont toujours été les véridiques. C'est ainsi qu'ils continuaient la tradition en la renouvelant : suivons leurs traces. Regardons leurs tableaux, où ils ont fixé leur conception de la nature et de l'existence. Leurs portraits, où ils ont révélé l'essentiel de l'homme ou de la femme. Leurs livres, qui sont des amis toujours à notre portée, dont le silence parle, raconte, renseigne. Celui qui ne lit pas est une brute. Celui qui ne pense pas est un monstre. Les grands artistes, les grands écrivains, les grands savants, les philosophes se sont transmis sans même le savoir, l'héritage de la pensée moderne qu'ils ont augmenté sans fin. Ils expliquent ainsi le mystère des générations qui naissent dissemblables, mais se complètent l'une par l'autre, qui concourent dans la famille spirituelle et naturelle à l'harmonie. La vérité est chez les simples et chez les pauvres. C'est en retournant à eux ainsi qu'aux amis de la nature, c'est en éduquant les ouvriers et les paysans que nous sommes dans le vrai. Rembrandt van Rijn, né dans un moulin, y est revenu fréquemment pour réussir ses chefs d'oeuvre. Il trouvait ses modèles dans les milieux les plus humbles de sa patrie et c'est parmi eux qu'il a dressé le Christ des pèlerins d'Emmaüs, qui ruisselle de Miséricorde. Sa méthode était de rajeunir l'enseignement de la Bible par l'interprétation légendaire qu'en avait fait l'imagination du peuple. Il atteignait ainsi au mystère même de l'individualité, à cet instant secret pour les autres, où l'homme seul s'abandonne face à lui-même à sa sincérité totale, décidé à bien se comprendre afin de se bien connaître.
Croyez-moi, vous qui m'écoutez : ce qui prouve que la vie est pleine de rapports, en même temps que plus fraternelle que ses apparences ne permettent de le croire, puisque nous ne nous connaissions pas tout à l'heure, et que nous voici en route tandis que le disque tourne, pour devenir des camarades, peut-être des amis, croyez-moi, je vous le demande, quand un homme est dans le vrai, c'est-à-dire lorsqu'il parle ou qu'il agit dans la sincérité de son cœur, ce qu'il dit, ce qu'il fait, a une vertu curative qui sauve autrui, qui le redresse et qui lui fait avoir confiance dans l'existence elle-même.
[Face 2]
C'est ainsi que l'humanité progressera, car elle ne se guérira pas du dehors mais de l'intérieur, en découvrant au fond d'elle-même la nécessité de la vérité. Tout se recrée en se reconstruisant tous les jours, et il en sortira, qui sait, un nouvel art de guérir les hommes, venu d'une meilleure connaissance de la nature. Un sceptique me répliquera que sa vie ne mérite pas tant d'efforts, puisqu'elle n'est d'après tout qu'un petit souffle, et que son corps, devenu las, vieux, ne pourra plus le retenir.
Je lui répondrai, au lieu de désespérer du peu que tu t'apparais, grandis-toi en développant ton cœur et ton cerveau, en travaillant à l'édifice universel. Crois en ce souffle, ainsi qu'en son éternelle durée. Tu n'as pas été sans observer, fusse avec scepticisme, que retenu, concentré dans une intention droite généreuse, qui s'était imposée à toi comme un devoir, il acquérait souvent une force invincible qui brisait tous les obstacles. Les paroles décisives d'alliance entre les hommes et entre les peuples ne sortiront que de la plénitude du cœur épanouie sur la vérité. Les hommes et les peuples ne peuvent avoir le cœur plein que s'ils ont fait croître en eux ce germe inconnu qu'ils apportèrent en naissant, qu'ils développent le long de leur croissance. Ami, le monde ne réclame de toi que le fruit personnel que tu contiens seul. Tant il est vrai qu'il existe dans chacun quelque chose de particulier qu'il se doit de réaliser pour accomplir tout son destin. Avoue-le, quand on veut t'embrigader presque de force à la façon d'une bête dans un troupeau Que tu connais toujours insuffisamment.
Ce sont tes recueillements précédents vers la recherche du vrai, tes joies solitaires et ta culture individuelle, le sentiment de ta force personnelle qui te rendent bienveillant pour tous. Aussi lorsqu'on veut t'affaiblir pour faire de toi un esclave, en te courbant sous une loi qui n'est pas la tienne, défends-toi ! en te défendant tu défendras la vérité. Un vieux livre disait les forts sont les doux, c'est vrai comme autrefois, mais aujourd'hui il faut que les doux restent les forts, parce qu'il faut être fort pour rester bon. Les temps de la fantaisie facile sont passés. C'est au cœur de la réalité quotidienne que l'homme qui en est un se doit de faire triompher la vérité. Nous sommes dans un âge par certains côtés barbare, où la plus grande poésie se trouve dans la vérité, et la vérité dans la simplicité des sentiments, que ne veulent ni ne peuvent plus connaître les puissants d'aujourd'hui, voués comme ceux de Carthage à des Molochs dévorateurs. Ils voudraient bien, eux, étouffer la vérité, déjà depuis longtemps, depuis toujours, au fond d'un puits. Eh bien nous, nous avons résolu d'accomplir notre devoir. Ne perdons pas un instant. Aujourd'hui même, ne serait-ce que dans un tout petit fait de notre existence, délivrons l'éternel prisonnier, la vérité est la clé de fer qui ouvrira les portes du monde nouveau.